Comment devient-on Québécois quand on est né ailleurs ? Certains ajoutent du sirop d’érable dans toutes leurs recettes. D’autres apprennent à patiner sur les lacs gelés. Les plus militants bannissent l’anglais de leur vocabulaire. Et puis, il y a ceux qui poussent l’intégration à un autre niveau.
C’est le cas de Jérémy Rubier. Pour comprendre ce que signifie « être Québécois », ce réalisateur français naturalisé canadien a enfourché son vélo et parcouru 3 200 km à travers la province, à la rencontre de celles et ceux qui y vivent. Et il a filmé son voyage. Son projet documentaire s’intitule Le Grand Détour.
Prendre racine
Arrivé à Montréal à l’adolescence avec sa famille, Jérémy a toujours eu l’âme voyageuse. À 36 ans, après douze ans passés en Asie, dont plus d’une décennie au Japon, il est revenu au Québec avec une idée précise : s’immerger pleinement dans sa province d’adoption et comprendre ce que signifie vraiment y prendre racine.
Pour lui, avoir des amis québécois, aimer le hockey ou avoir étudié au cégep, ça ne suffit pas pour se sentir vraiment chez soi. « La meilleure façon de comprendre le territoire, c’est de l’explorer. Et à vélo, il n’y a rien de mieux. »
Montréal est son grand amour, mais elle ne représente qu’une partie du Québec. « C’est ma ville, mais c’est trop facile. C’est un bordel francophone, c’est trop simple de s’adapter quand on est Français. » Pour aller au-delà de cette facilité, il décide d’arpenter la province de juin à août, jusqu’à la Côte-Nord, avec son vélo, sa tente et son matériel vidéo, prêt à rencontrer le Québec dans toute sa diversité.

Rencontrer le Québec et le raconter
Avec l’aide de Tourisme durable Québec, Jérémy a tracé un itinéraire pensé pour s’arrêter dans des lieux accueillants et écoresponsables. Mais plus que les hôtels ou les auberges, c’est la rencontre avec les gens qui guide son voyage. Sur la route, il écoute des dizaines d’histoires, découvre des paysages inattendus et s’imprègne de la vie locale, loin des circuits touristiques habituels.
Une question, mille réponses
« C’est quoi, être Québécois ? »
C’est la question qu’il pose partout où il passe. D’une maison à l’autre, d’une région à l’autre, il rencontre mille visages du Québec : les Innus de Pessamit, une artiste du Bas-Saint-Laurent, une protectrice des côtes gaspésiennes… et aussi des Français installés dans les régions plus reculées.
Il raconte son passage marquant à Pessamit, sur la Côte-Nord : « Je suis allé les voir avec mon accent français pour leur demander ce que signifie être Québécois. J’ai eu des réponses extraordinaires de gens qui ont vu leurs terres voler. Ils disent ce qu’ils pensent, c’est violent, c’est puissant. »
C’est cette mosaïque de voix que Le Grand Détour restitue. Et pour Jérémy Rubier, Français devenu Canadien, c’est un moyen de trouver sa propre façon d’être Québécois.
Un grand défi physique
L’aventure n’a pas été de tout repos. Habitué aux déplacements rapides en ville, il découvre la difficulté des longues distances en nature. Après quelques semaines, l’épuisement et la douleur commencent à se faire sentir. « J’ai failli abandonner à Charlevoix. Après un mois, j’avais le dos pété, j’avais mal partout », confie-t-il.
Mais peu à peu, un déclic se produit. « Mon corps a fini par muter : il s’est conditionné pour le vélo. » Chaque coup de pédale devient alors plus naturel, presque instinctif.
Cette fatigue et ces moments de doute se retrouvent aussi dans ses vidéos : « Parfois, j’étais dans un état second, mais ça rend les entrevues marrantes, parce que je faisais n’importe quoi avec la caméra », raconte-t-il le sourire aux lèvres.
Une déclaration d’amour au Québec
À la fin de son périple, sa vision de la province a profondément changé. « Je comprends les séparatistes à 2000 %. Ils ont toutes les raisons du monde », affirme-t-il, en soulignant la force du combat pour la langue française, la puissance des femmes québécoises et la résilience des Québécois de région : « Si c’est la fin du monde, on va tous mourir, mais les Québécois de région vont survivre et nous nourrir. » Sans oublier l’histoire complexe et douloureuse des peuples autochtones.
De retour à Montréal, face à 300 heures d’images, Jérémy Rubier lance une levée de fonds pour finaliser son documentaire. Le Grand Détour prendra la forme de huit épisodes de 40 minutes, pour montrer le Québec autrement, dans toute sa diversité et sa richesse humaine.