“Se promener sans but, au hasard, pour le plaisir de regarder”, telle est la définition bucolique de “flâner” préconisée par le dictionnaire Larousse et partagée par l’imaginaire collectif français. “User de son temps sans but”, dit aussi Littré. À Montréal et au Québec en général, le fait de flâner est pourtant passible d’une amende (175$). Sur ce sujet précis, parlons-nous vraiment la même langue ? En flânant dans la métropole, on a demandé à des professeurs de nous éclairer sur la question.
“Pas de flânage”, “Interdiction de flâner”. Impossible de ne pas esquisser un sourire lorsqu’on aperçoit, pour la première fois, ces panneaux dans des lieux publics comme les gares et les stations de métro. “Il s’agit d’interdire à des « indésirables » comme les itinérants ou les jeunes oisifs de traîner dans ces lieux de passage. Ce mot peut aussi se traduire par “vagabondage”, le délit de vagabondage existe en droit français”, nous a indiqué Chantal Bouchard, professeure agrégée à McGill, selon qui cette signalisation permettrait surtout aux services de sécurité d’expulser les sans-abris installés dans les couloirs du métro, les centres commerciaux et les halls d’immeubles.
Interrogée sur la présence d’un panneau “Interdit de flâner” à l’intérieur du tunnel du Champ-de-Mars, la réponse fournie par la Ville de Montréal donne raison à Chantal Bouchard : “Les panneaux « Défense de flâner » sont installés dans le tunnel afin d’inciter les gens à l’utiliser pour ce qui l’est, un lieu de passage. L’installation de ces panneaux relève de la responsabilité de l’arrondissement.”
« Traîner » plutôt que « flâner »
Mais alors d’où vient le mot flâner ? “On a traduit directement le mot anglais « loiter » par « flâner », d’où « flânage », avec ce suffixe souvent péjoratif, plutôt que « flânerie ». Il aurait mieux valu prendre une autre traduction possible de « loiter » comme « traîner ». En l’occurrence, c’est bien de cela qu’il s’agit : quand on interdit de « flâner », en fait, on veut interdire de « traîner », nous apprend Benoît Melançon. On a donné une dimension péjorative à un verbe qui n’en avait pas (« flâner »), au lieu d’en prendre un (« traîner ») qui avait déjà un sens péjoratif : « Aller sans but ou rester longtemps (en un lieu peu recommandable ou peu intéressant) » (le Petit Robert, édition numérique de 2014).”
De passage à Montréal en 2016, Arnaud Maïsetti, professeur agrégé de lettres modernes, s’était lui-aussi posé la même question et y avait consacré un article sur son blog. “Ici, on sanctionne donc le flânage : la langue d’ici, toujours si multiple dans ses inventions, a puisé dans le mot flâner ce substantif plus désœuvré encore que flânerie, et qui à l’oreille tendue (NDLR : il s’agit du blog de Benoît Melançon) pourrait sembler plus désirable : flânage. Mais le flânage n’est pas la flânerie. Du féminin au masculin, on bascule de la promenade curieuse au délit de la misère. D’un mot à l’autre : ici, on punit ceux qui dans les rues sont sans toit et cherchent un abri sous les porches des grands bâtiments, mendient quelques sous, et chaque jour tâchent de survivre au soir.”
Même Edouard Baer avait été fasciné par cette “‘interdiction de flâner” aperçue dans des toilettes de Montréal, re-regardez notre vidéo :
https://www.facebook.com/mauditsfrancaisca/videos/1557402661055145/
Vous ne flânerez plus jamais comme avant.