Il suffit de parcourir Montréal à pied, en voiture ou en vélo pour s’en rendre compte : la ville est en chantier, si ce n’est un chantier à elle toute seule. À tel point que le cône orange est devenu une icône de la ville que certain·es portent en guise de porte-clefs pendant que d’autres s’amusent à le détourner, comme Eldiablo avec son “Urbanukshuk”. Derrière la “joke”, on a voulu en savoir plus : c’est quoi ce chantier et pour combien de temps encore ?
“La Ville de Montréal investit massivement dans ses infrastructures afin d’offrir un réseau fiable et sécuritaire aux Montréalais”, nous ont simplement répondu les équipes de communication de la Ville quand on leur a posé la question. Elles nous ont aussi affirmé que, périodiquement, une vérification de l’état des infrastructures montréalaises était effectuée afin de programmer les travaux qui seront effectués à court et moyen termes. Tout est sous contrôle, donc.
Comme on le lit ici, “Montréal subit des changements dont la portée n’a pas été vue depuis plus de 50 ans lorsqu’une vague d’activités de construction et d’infrastructure — dont le système du métro de la ville, Place des Arts, Place Ville Marie, le pont Champlain, l’aéroport international de Dorval (aujourd’hui Montréal-Trudeau) et l’autoroute Bonaventure — a transformé le visage de la ville avant Expo 67.”
De son côté, Gérard Beaudet, professeur à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal (UdeM) et ancien directeur de l’Institut d’urbanisme de l’UdeM, n’y va pas par quatre chemins. “On en a encore pour facilement deux décennies de travaux !”, a lancé le spécialiste, peu surpris par notre question.
“À Montréal, les quartiers centraux et les infrastructures ont été mis en place dès la fin du 19e siècle (…) : cela va faire plus d’un siècle ! Des panoplies de travaux de toutes sortes étaient donc inévitables”, nous a confié le professeur par téléphone rappelant au passage que les technologies utilisées à l’époque ne sont plus adaptées aux conditions actuelles, environnementales notamment. “Les infrastructures écopent de la présence de l’eau et des cycles de gels/dégels annuels de plus en plus répétés. Montréal doit s’adapter”. Plus de 450 kilomètres de chaussée, de conduite d’aqueduc et d’égout devraient d’ailleurs être réhabilités ou reconstruits à Montréal durant l’année 2018.
L’équipe de communication de la Ville nous a aussi fait savoir “être toujours à l’affût de nouvelles techniques, procédés et matériaux”. Objectif ? Améliorer constamment ses infrastructures routières et en assurer la pérennité dans le cadre d’un développement durable de la Ville de Montréal.
Nouveau pont Champlain, échangeur autoroutier Turcot ou simples bouts de rue (nids de poules compris) : des travaux sévissent et fleurissent actuellement aux quatre coins de la métropole. D’après Gérard Beaudet, si tout arrive en même temps, ce n’est pas seulement la faute au temps qui passe et à ses ravages. “Il y a une part de négligence : à titre d’exemple, cela fait longtemps qu’on sait que les aqueducs perdent des quantités d’eau, on pouvait faire semblant jusque-là mais quand les tuyaux lâchent et que les chaussées s’effondrent, on ne peut plus fermer les yeux, il faut passer à l’action”, a confié l’expert.
Interrogé sur la Commission Charbonneau (Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction), autrement dit sur le lien souvent évoqué entre la mafia et l’industrie de la construction à Montréal, le professeur reconnaît qu’il y a eu “quelques dossiers récents sur lesquels des gens ont voulu faire renaître des choses qui avaient été dénoncées”. “Mais ce n’est pas pire qu’ailleurs. Il n’y a qu’à regarder le dossier de l’eau en France par exemple…”
Plus inquiétant selon lui, les effets collatéraux du nombre de chantiers réalisés en si peu de temps : 111 sont en cours actuellement et représentent 30,9 milliards de dollars d’investissements (statistiques disponibles ici). D’après lui, autant de travaux d’envergure réalisés en un laps de temps réduit impliquent forcément un déficit de main d’œuvre compétente et une impossibilité à livrer convenablement la marchandise. “Il y a un risque à ce que certains s’y mettent sans y avoir forcément le droit, c’est sûr (…). Quand le chat n’est pas là, les souris dansent !”
Échangeur Turcot, concept des années 50 ?
Parmi les travaux d’envergure à surveiller de près et qui peuvent chambouler notre train-train quotidien : l’échangeur Turcot, carrefour de la circulation automobile de la région métropolitaine de Montréal. Les travaux sont censés être terminés à la fin de 2020. “Sauf qu’il s’agit d’une décision digne de celles qu’on prenait dans les années 50 et on va le réaliser à l’inauguration”, a lancé Gérard Beaudet, calmement. “La présence de l’échangeur pose un véritable problème urbanistique pour la Ville de Montréal. Les infrastructures autoroutières participent à l’isolement de plusieurs portions du quartier Saint-Henri (…)”, peut-on lire ici où on apprend également que la Ville a donc veillé à redessiner et à rendre plus “verts” les abords de l’échangeur.
Quant au REM (Réseau électrique métropolitain) qui reliera le centre-ville de Montréal, la Rive-Sud, la Rive-Nord, l’Ouest-de-l’Île et l’aéroport Montréal-Trudeau — dont la date initiale d’achèvement du projet a été fixée pour la fin de 2020 —, le professeur est aussi sceptique. “Je pense qu’on va avoir une surprise en termes de coûts de fonctionnement. On est allés beaucoup trop vite sur ce dossier, il y a encore des questions sans réponses (…)”.
Un peu de baume au coeur, tout de même : au cours de l’année 2017, la Ville de Montréal a construit ou réhabilité près de 290 km de chaussée et 122 km de conduites d’aqueduc et d’égout. Sans compter les rues qui ont été réaménagées, les feux de circulation qui ont été mis aux normes, entre autres.
Si vous vous retrouvez bloqués au milieu de tel ou tel chantier de construction au volant de votre voiture, au guidon de votre deux roues ou à pied, restez zen. Rappelez-vous que la revitalisation du centre-ville de Montréal est surtout vitale : cela devrait lui permettre de reprendre la place qui lui revient, à savoir un joyau urbain dynamique, stimulant, convivial et adapté aux humains qu’elle abrite. Patience.