En mars dernier, on avait rencontré Boris Dolivet alias Eldiablo, aussi connu comme le papa des Lascars, pour parler de son album “Wesh! Caribou” qui sortira bientôt aux éditions Rouquemoute. Aujourd’hui, c’est un tout autre projet qu’il vient de terminer : “Radicalishow 2” (dont le tome 1 est disponible ici), une BD produite par le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV).
“J’ai été contacté par le CPRMV de Montréal il y a maintenant deux ans. (…) Le Centre cherchait quelqu’un pour faire une BD afin de recueillir les témoignages de jeunes qui ont été radicalisés. Le but était de leur permettre d’expliquer ce qu’ils ont vécu et les raisons de leur embrigadement”, confie le dessinateur français installé à Montréal depuis 2015 qui a tout de suite dit oui.
“Ça m’intéressait parce que tout ce que j’ai fait en BD depuis Lascars, et même avant, c’était toujours plus ou moins tiré du réel, un peu journalistique et engagé. Le projet me correspondait parfaitement”, a expliqué Boris Dolivet qui a rencontré plusieurs jeunes Canadiens qui ont failli partir en Syrie mais qui se sont faits “rattraper” à temps. “J’ai recueilli leurs témoignages pendant de longues heures, après les avoir mis en confiance. Il a fallu leur faire comprendre que je n’étais pas de la police et qu’ils n’étaient pas en garde à vue !”
Si certains étaient plus timides au début, d’autres avaient vraiment envie de parler et tous avaient des choses à dire. “Ils partageaient souvent ce sentiment d’exclusion. Ici au Québec, c’est très lié, entre autres, à la Charte des valeurs. Beaucoup de musulmans se sont sentis mis à l’écart alors qu’avant ils ne ressentaient pas de xénophobie particulière”, a rapporté le dessinateur français avant de préciser qu’ils sont maintenant réinsérés dans la vie professionnelle mais toujours suivis au niveau judiciaire.
Pour le tome 2 (qui raconte, par le truchement de deux petits personnages, l’histoire de frères et soeurs radicalisés), Boris Dolivet a eu l’opportunité de rencontrer certaines familles dont les proches s’étaient radicalisés. “J’ai été très touché par le témoignage d’une personne dont le frère est décédé peu de temps après qu’on ait fait l’interview. Pour eux, c’est du concret : t’as un membre de ta famille qui est parti se battre à 8000 kilomètres de là, tu ne sais pas ce qui s’y passe, (…) c’est très dur”, a confié le dessinateur qui estime qu’on peut toujours traiter les sujets les plus durs avec un petit peu de dérision. “Du moment qu’on reste sérieux dans le propos, on peut se permettre quelque chose dans la forme.”
Fiction contre radicalisation
Pour parler de radicalisation sans stigmatiser, le dessinateur a eu l’idée de faire graviter ses personnages dans un monde fictionnel parallèle mêlant les Simpsons à Star Wars “où chacun est dans un délire différent”. “Un jour, je me suis demandé ce qu’il se serait passé si, au lieu que ce soit des musulmans, ça avait été des fans de Star Wars? Est-ce qu’on les aurait tous fichés comme ça? (…)”, raconte l’artiste qui a suivi à la lettre ce que les jeunes lui ont raconté et dont la BD est distribuée par le biais de l’UNESCO (partenaire du projet) dans les universités et les cégeps.
Le tome 3 ? Il est déjà en préparation. Au programme : l’extrême droite. “J’ai rencontré des anciens membres de groupuscules d’extrême droite qui ont refait leur vie et pris du recul depuis. J’ai notamment discuté avec une personne qui était assez proche d’Alexandre Bissonnette“, a lancé l’artiste engagé.
Entre temps, le bédéiste hyperactif a déjà signé avec une maison d’édition française pour faire la même chose de l’autre côté de l’Atlantique. “J’ai recueilli des témoignages de jeunes Français qui sont en prison depuis qu’ils sont partis puis revenus du djihad. Pour le coup, ils ont vécu des trucs très durs là-bas… La BD devrait sortir à la rentrée 2018.” À noter enfin que la BD Radicalishow fera aussi partie des ouvrages présentés au Festival BD de Montréal qui aura lieu du 25 au 27 mai 2018.