Lorsqu’elle a pris la tête du Musée des beaux-arts de Montréal en 2007, Nathalie Bondil en est devenue à la fois la première femme directrice et conservatrice en chef et la plus jeune. Depuis, l’institution montréalaise n’a cessé d’accroître le nombre de ses adhérents et visiteurs, ces derniers atteignant le nombre record de 1,3 millions en 2017. Portrait d’une femme passionnée et engagée, qui nous parle de sa vision du musée.
Née à Barcelone, Nathalie Bondil a grandi au Maroc et en France où elle a fait ses études et commencé sa carrière avec une parenthèse aux Etats-Unis pour travailler chez Sotheby’s. Gourmande, elle raconte avoir été séduite par les mentions apposées à l’entrée de certains restaurants comme “Ici on mange du vrai beurre” lors d’un voyage à Montréal alors qu’elle vivait aux Etats-Unis*. En 1999, cette méditerranéenne accepte une proposition de poste au Musée des beaux-arts et s’installe au Québec avec son mari et sa fille. Sa double nationalité franco-canadienne enrichit aujourd’hui ses “identités plurielles“, terme qu’elle utilise volontiers pour se dépeindre en référence à Amin Maalouf. La France ne l’a d’ailleurs pas oubliée puisque le Premier ministre Manuel Valls lui a remis la médaille d’Officier des Arts et des Lettres en 2016, qui s’ajoute à ses nombreuses distinctions canadiennes.
Sous sa direction, le musée s’agrandit (la plus récente extension étant le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein), invite dans ses salles la musique (expositions Warhol Live, Chagall : couleur et musique, salle de concert Bourgie…) et la mode (Yves-Saint-Laurent, Jean-Paul Gaultier et bientôt Thierry Mugler comme nous l’annoncions ici). “Les oeuvres de haute couture sont extrêmement belles à voir et on y a très peu accès, commente-t-elle. Je dis souvent qu’il est plus facile de voir un tableau de Van Gogh qu’une robe de haute couture”. Les créateurs de mode ont selon la directrice toute leur place au musée dont le rôle est de “donner à voir des oeuvres inaccessibles” explique-t-elle, car “la couture est un art (…). La définition de l’artiste ne doit pas être donnée par le médium mais par le talent”.
Certains projets phares du musée le font connaître sur la scène internationale. L’exposition “La planète mode de Jean-Paul Gaultier” notamment, imaginée par le MBAM à l’initiative de sa directrice, fait le tour du monde depuis sa création en 2011. L’exposition originale, qui a visité une douzaine de pays, s’est refermée à Montréal en octobre 2017 avec un bouquet final sous la forme d’un gâteau de mariage haute couture inclusif pour toutes et tous, qui poursuit aujourd’hui sa route en dehors du Québec (nous en parlions ici). Il portait un fort message de diversité, d’humanisme et de tolérance ainsi qu’une réflexion sur la beauté : “C’est la raison pour laquelle Jean-Paul avait accepté car je voulais que le projet soit axé sur la diversité dans la définition de la beauté“, raconte la directrice.
S’il est innovateur et éclectique, le musée de Nathalie Bondil se veut aussi moderne, concret, ancré dans la société d’aujourd’hui. Si vous avez l’habitude de parcourir les expositions du MBAM, vous avez sans doute remarqué la manière dont le traitement des thématiques renvoie toujours à une réflexion sur la société contemporaine. Pour Nathalie Bondil, il est essentiel d’ouvrir ainsi la visite au-delà de l’histoire de l’art. “Le fait d’être une historienne de l’art c’est une expertise, mais savoir ce que l’on veut en faire c’est un autre niveau explique-t-elle. C’est extrêmement important pour nous de nous positionner en tant qu’experts professionnels au sein d’une institution qui fasse sens dans la société dans laquelle elle est”.
Qu’elle fasse sens et qu’elle éduque aussi, notamment sur les codes de l’image : “Au musée on peut contextualiser et relativiser (…), apprendre à objectiver son regard et avoir un oeil critique sur le monde visuel qui nous entoure pour ne pas en être le jouet“, commente Nathalie Bondil. À titre d’exemple, l’exposition Napoléon qui a été inaugurée la semaine dernière (voir notre article ici) sensibilise les visiteurs à un thème qui n’a pas pris une ride : l’exploitation de l’image en politique. “Ce que Napoléon a fait en dix ans de règne avec sa marque, c’est un exemple qui influence encore des politiques d’aujourd’hui. En termes de stratégie d’image et de communication, c’est le premier politicien moderne”, analyse la directrice.
On ne peut bien sûr s’entretenir avec Nathalie Bondil de son travail au musée sans évoquer également le rôle social de l’institution, qu’elle a eu particulièrement à coeur de développer à côté de sa mission artistique et patrimoniale. Aujourd’hui, le MBAM collabore avec de nombreuses organisations pour créer des passerelles, utiliser l’art comme thérapie et devenir un lieu de rencontre.
“Rassembler” ou “rassembleur” sont d’ailleurs des termes que la directrice utilise souvent lorsqu’elle parle de ses projets. En 2019, le musée consacrera une aile aux cultures du monde d’hier et d’aujourd’hui, du Québec et d’ailleurs en mettant notamment en valeur l’apport des immigrants. “Nous sommes dans une ville extrêmement plurielle et diversifiée et c’est la société qui parle de ces enjeux de vivre ensemble où la culture est le liant incontournable pour que les différentes populations puissent s’entendre. On ne parle plus de tolérance mais d’acceptation, d’inclusion mais de cohabitation“, déclare-t-elle.
Pour mener à bien l’ensemble de ces missions, Nathalie Bondil explique que le positionnement particulier du musée au Québec, alliant selon elle le meilleur des systèmes français, américain et anglais (avec notamment un Ministère de la culture mais aussi une forte présence de la philantropie et de l’interculturalisme) est un atout. “C’est extraordinaire, commente-t-elle, car cela nous permet d’avoir une approche beaucoup plus riche et beaucoup plus complexe du financement des arts, de la manière dont on intègre le projet culturel dans un tissu social. On a plus d’outils philosophiques, économiques, de gouvernance (…). C’est comme si j’avais une boîte à outils plus riche” analyse-t-elle.
Son engagement social, Nathalie Bondil le portera probablement toute sa vie, au-delà de ses fonctions au musée des beaux-arts pour lesquelles elle a été reconduite en 2016 jusqu’en 2021. “Je n’ai pas de plan de carrière mais il y a des actions que j’aimerais porter. J’aimerais enseigner pour soutenir la jeune génération, c’est fondamental pour moi (…) et continuer à avoir une action politique citoyenne” confie-t-elle.
Chez Maudits Français, nous sommes impatients de découvrir ses prochaines explorations pour le MBAM. Elle laisse entrevoir une exposition Picasso passionnante, adaptée d’une création du Musée du Quai Branly. Rendez-vous en mai !
*Carnets de Montréal, de Catherine Pont-Humbert.