La procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, y compris les femmes seules et les couples de femmes, est une promesse de campagne d’Emmanuel Macron qu’il peine à délivrer. Le 4 février dernier, le Sénat a exclu les femmes seules de la PMA. Les débats ne sont pas finis au parlement français, mais au Canada, tout le monde peut déjà avoir accès à la PMA depuis 2002 et la “soloparentalité” semble être un modèle familial de plus en plus courant. On vous explique comment ça marche.
La soloparentalité, comme son nom l’indique, est un projet mis en place par une personne seule, contrairement à la monoparentalité où l’enfant a été pensé à deux, mais où finalement, le couple ne résiste pas et se sépare. Près de deux femmes sur dix qui ont recours à la procréation assistée à la clinique privée de fertilité Ovo à Montréal sont célibataires, un chiffre à la hausse dans la dernière décennie.
Le Québec « en avance »
Nous avons rencontré Sophie, Emmanuelle et Karima, qui ont toutes les trois immigré au Québec il y a plus de 10 ans et ont choisi la PMA au Québec. « Je généralise un peu, mais je pense qu’en France, la majorité des gens trouvent ça encore ahurissant qu’une femme seule souhaite un enfant. Pour ma part, je l’ai caché à ma propre mère », confie Sophie. Karima et Emmanuelle abondent dans le même sens et estiment que l’Hexagone affiche encore « un certain retard » au niveau des avancées sociétales, notamment pour les femmes.
En France la fécondation in vitro est prise en charge par le gouvernement pour les couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité diagnostiquée. Ils peuvent avoir jusqu’à 4 essais. Les femmes célibataires quant à elle ont l’interdiction d’y avoir recours. « Ça veut dire quoi ? Si tu ne rencontres pas la bonne personne, t’as pas le droit d’avoir d’enfants ? » s’estomaque Emmanuelle encore aujourd’hui.
Pour Karima, la décision est venue lorsqu’elle a vu, dit-elle, son âge avancer : « J’étais toujours célibataire… Le désir d’enfant était plus fort que d’attendre le prince charmant alors je me suis dit “ j’me lance ! ” », raconte la travailleuse autonome de 41 ans. Même constat du côté d’Emmanuelle qui parlait d’avoir des enfants avec son ex-compagnon. « Je n’avais jamais pensé à faire ça toute seule auparavant. Pour moi, c’était le couple avant tout, et les enfants après. Mais finalement, l’été dernier, je me suis rendu compte que je ne voulais pas vivre sans enfant. Je n’avais plus envie d’attendre après les hommes », confie l’enseignante au primaire de 42 ans. Sophie, quant à elle, est passée par la voie « classique » pour son premier enfant qu’elle a eu avec son ex-mari. « On a divorcé peu de temps après la naissance du petit, je n’ai pas trouvé un autre compagnon et je savais que je voulais un ou deux autres enfants », explique l’adjointe administrative.
900 à 1500$ par insémination
Après avoir choisi la clinique qui convient, plusieurs tests doivent être effectués avant la première insémination. Suite aux tests, il faut environ attendre quelques mois avant la première insémination mais cela peut arriver assez vite. « Le temps entre la première visite et le cycle de traitement dépend de plusieurs facteurs, incluant l’endroit où la patiente décide de faire ses prises de sang ainsi que ses autres tests. En assumant qu’il n’y aurait pas de délais exceptionnels, un cycle d’insémination pourrait se faire dans un délai de 3 mois après la première visite à la clinique », explique Simon Phillips, directeur scientifique régional à la clinique Ovo Montréal. Chaque don de sperme, que l’on nomme alors magiquement « paillettes » coûte entre 900 et 1500$. Au Québec, les 9 premières inséminations sont gratuites. À cela s’ajoute aussi le prix des hormones d’environ 200$ chaque mois qui peuvent parfois être prises en charge par certaines assurances professionnelles. Pour Sophie, cela fait plus de trois ans qu’elle a entamé les démarches et cela n’a pas été évident financièrement. « Je ne fais pas un gros salaire alors j’ai pris des jobs supplémentaires et heureusement, je tiens bien mon budget », se rassure-t-elle. Le gouvernement provincial prévoit de changer la loi l’automne prochain et pourrait rembourser 6 inséminations au lieu de 9.
La fécondation in vitro (FIV) quant à elle n’est pour l’instant pas prise en charge par le gouvernement. Elle est souvent plus efficace. C’est cette méthode qu’a décidé de choisir Karima. « Je voyais des femmes qui faisaient 9, 10 inséminations sans résultats positifs. Je n’avais plus de temps à perdre », se rappelle-t-elle. Pour un tel procédé, il faut compter entre 6 000 et 15 000$, une somme importante qui a été longuement réfléchie par la travailleuse autonome. « Ça fait des années que je mets de l’argent de côté parce que je savais que si j’avais un jour recours à la FIV, ça allait coûter cher », se souvient-elle. Pour Emmanuelle, un tel projet n’avait pas été prévu d’avance. Financièrement, ce sont ses parents qui l’aident. « Sans eux, je ne sais pas si j’aurai embarqué là-dedans. C’est un cadeau inestimable qu’ils me font », raconte-t-elle. La loi devrait également changer l’automne prochain et la première FIV pourrait être entièrement remboursée pour les femmes de moins de 41 ans.
Un parcours du combattant
La procréation assistée vient avec son lot de souffrances physiques et psychologiques. La prise d’hormones chamboule notamment les émotions, un déséquilibre qui a été très difficile pour Karima. « C’était extrêmement dur sur le moral, j’ai cru que j’allais m’ouvrir les veines », confie-t-elle. Sophie quant à elle a subi des crampes très douloureuses qui l’ont amené plusieurs fois à l’hôpital au début de son processus. « On s’habitue et le but ultime en vaut la peine », lance-t-elle.
Les difficultés psychologiques ont été aussi une place importante dans cette démarche. Emmanuelle par exemple n’a pas ressenti de support ou de bienveillance, notamment du côté du corps médical. « C’est un gros business, j’avais 2 minutes pour leur parler, j’étais juste un numéro de plus. Je suis mieux accueillie chez mon dentiste », se désolait-elle avant de changer de clinique. Un constat douloureux qui a aussi été vécu par Karima avant qu’elle ne décide de trouver un autre endroit. Toutes les trois confient aussi que la peur de l’échec à chaque essai est très difficile à gérer. Cela engendre beaucoup de stress, d’anxiété et de déception.
Les trois femmes s’accordent tout de même sur le soutien psychologique que permettent certains groupes Facebook notamment de femmes qui entreprennent le même procédé. Les amis, l’entourage et les collègues aussi de se sentir moins seule. « C’est chouette de sentir du soutien, mais la plupart des gens ne se rendent pas compte de toutes les étapes que ça implique. Certaines ne prenaient finalement pas beaucoup de nouvelles, ça m’a parfois déçue », avoue Emmanuelle.
La famille, qui est loin pour ces expatriées, soutient aussi la démarche. Une distance qui est tout de même très difficile à combler pour Karima. « Même si elle peut venir quelque temps, elle ne sera pas là jusqu’au moment de l’école, ça va être un challenge d’être seule », ajoute-t-elle. Emmanuelle aussi espère que sa mère pourra lui rendre visite au Canada lors de l’accouchement et des mois qui suivent. « Je pense que c’est l’étape la plus difficile, d’être complètement seule avec un bébé alors j’espère qu’elle pourra m’aider à me faire à manger, à être présente, à s’occuper de moi un peu », confie Emmanuelle.
Malgré les obstacles, toutes trois se disent ravies de vivre dans un pays qui a rendu leur rêve d’enfant possible et convaincues que, malgré les réticences, la PMA pour toutes deviendra bientôt réalité en France également.