L’idée est répandue chez les nouveaux arrivants: on va profiter de notre arrivée au Québec pour devenir bilingue, ou, plus souvent, rendre nos enfants bilingues. D’où l’intérêt de beaucoup de certaines familles françaises pour une scolarité en anglais. Mais très vite, ils découvrent la réalité linguistique locale. Et notamment la fameuse loi 96, qui limite de plus en plus cette possibilité.
« On a toujours vu comme un atout de venir au Québec pour avoir des enfants bilingues », explique Adèle*. Sa fille de six ans fréquente une école bilingue qui relève de la Commission scolaire English-Montreal (CESM) depuis son année de « Pre-K », qui correspond à la classe de maternelle 4 ans. Comme Adèle a elle-même pratiqué deux langues dès son enfance, elle tient particulièrement à ce type d’enseignement. « C’était important pour moi que mes enfants grandissent bilingues, notamment pour leur ouverture d’esprit ».
« C’est une opportunité qu’on a découverte en arrivant ici et qu’on a saisie », explique Nicolas, dont les deux fils fréquentent la même école que la fille d’Adèle. « Ils alternent une journée en anglais avec une journée en français, explique le père. C’est quand même davantage une école anglophone au niveau culturel, mais sans clivage. » Dans le cas de ces deux familles, les enfants n’avaient jamais appris l’anglais avant de commencer l’école.
Les filles de Sylvie**, quant à elles, avaient déjà appris l’anglais lors d’une expatriation d’un an et demi aux États-Unis. « Quand elles se sont enfin adaptées, il a été temps de rentrer en France, explique leur mère. On a voulu continuer à leur parler anglais à la maison, mais elles n’ont pas suivi. » Trois ans et demi plus tard, leur expatriation vers le Québec a donc présenté une occasion pour elles de se remettre à l’anglais. De plus, la fille aînée de Sylvie connaît de grandes facilités à l’école. « Étudier en anglais l’occupe en plus de lui permettre d’apprendre. »
À chacun son rythme
Le rythme d’apprentissage dépend, lui, de chaque enfant. « On a vu un gros changement en novembre de sa première année d’école, quand on est partis chez mon frère aux États-Unis, se souvient Adèle. Elle comprenait beaucoup de choses et elle commençait à faire des phrases. » À la fin de l’année scolaire, la petite fille formait des phrases complètes. Pour le fils aîné de Nicolas, le démarrage a été un peu plus long. « La première année, on n’a pas vu de résultats concrets sur la maîtrise de l’anglais. Ça s’est fait d’un coup au début de la deuxième année. » La preuve que chaque enfant suit son rythme, y compris au sein d’une même famille : son petit frère vient d’achever sa première année d’école et il est déjà bilingue.
« Le niveau de français est quand même inférieur à celui d’une école francophone », croit Nicolas. Pour compenser, ses fils font des cahiers de vacances en français pendant l’été. « C’est plus difficile au départ d’apprendre dans deux langues, mais ça se rattrape », pense Adèle, moins inquiète. Pour faire un parallèle avec mon enfance en Allemagne, où on apprend beaucoup plus tard à lire, mes parents étaient inquiets mais le système est fait de telle façon à ce qu’on sache tous lire et écrire à un moment. »
Attention aux conséquences
Si scolariser ses enfants en anglais peut se révéler tentant, mesurer l’impact de cette décision est nécessaire. Certaines personnes pourraient, en effet, l’interpréter comme un refus de s’intégrer pleinement à la société québécoise. Sylvie rapporte ainsi le cas d’une famille qui a perdu des amis à cause de sa décision. Cécile Lazartigues-Chartier, quant à elle, a même renoncé à inscrire sa fille dans une école anglophone après « des discussions houleuses avec des amis » (elle en témoignait déjà dans cet article). Des années plus tard, elle dit avoir compris pourquoi sa décision heurtait tant son entourage, et se déclare pleinement satisfaite du parcours de ses filles dans le réseau public francophone.
La loi 96 change la donne
La crainte de certains Québécois de voir le français disparaître a, d’ailleurs, mené le gouvernement à durcir les conditions d’accès aux écoles anglophones. Alors que les résidents temporaires pouvaient autrefois y scolariser leurs enfants sans limite de temps, la loi 96 restreint désormais à trois ans leur admissibilité.
Les enfants d’Adèle et de Nicolas devront donc changer d’école à la fin de leur certificat d’admissibilité. « C’est hyper frustrant car les enfants ont tous leurs amis et leurs repères dans cette école, explique Nicolas. En plus, nos enfants baignent dans un environnement familial francophone. » « Je comprends les Québécois qui font attention à la langue française, ajoute Adèle. Mais je trouve dommage que les écoles francophones attendent la fin du primaire pour proposer des programmes d’anglais intensifs . »
* Pour préserver la vie privée de leur famille, les témoins n’ont pas souhaiter divulguer leur nom de famille.
** La personne a souhaité conserver l’anonymat. Il s’agit donc d’un nom d’emprunt.