Ils s’appellent Malik, Claire, Adeline, Hélène, Laura… Ces Français, étudiants ou travailleurs temporaires, sont les victimes collatérales des nouvelles mesures du gouvernement Legault, annoncées fin octobre. Désormais, il faut « détenir un diplôme figurant dans une liste publiée par le ministère de l’Immigration ou avoir une expérience d’emplois dans des domaines définis par le gouvernement », en lien avec la pénurie de main-d’œuvre, pour espérer avoir accès au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), programme qui jusqu’à présent permettait d’obtenir un accès plus rapide à la résidence permanente.
Une liste de métiers a été déterminée. À titre d’exemple, pour Montréal, seulement 13 professions (sur 162) permettraient aux travailleurs de demander leur CSQ (Certificat de sélection du Québec) et d’y devenir éventuellement résidents permanents. Pour certains Français, ces décisions, entrées en vigueur le 1er novembre 2019, sont synonymes d’un retour à la case départ. Ou en tout cas d’une énorme incertitude.
Le rêve québécois
Depuis la fin de la semaine dernière, Samuel et Aurélie, 33 et 30 ans, s’interrogent : que va devenir leur projet de s’installer durablement au Québec ? Ils ont quitté l’Hexagone et leur situation confortable de jeunes actifs pour vivre une nouvelle aventure et s’en réjouissent. Ils ont chacun, ici, trouvé un travail chez Desjardins. Ils se sont même portés volontaires pour travailler en renfort sur la ligne téléphonique afin de rassurer des milliers de Québécois victimes de la fuite de données qui a touché l’institution financière. Et on peut dire qu’ils n’ont pas perdu de temps pour entamer les démarches administratives. « Nous sommes arrivés à Montréal l’été dernier. Nous nous sommes intégrés et démenés pour satisfaire aux exigences du marché du travail. Nous avons passé et réussi avec succès les permis et certifications pour exercer nos professions, témoigne le couple. Nous étions éligibles pour notre demande de CSQ via le PEQ. Nous avons envoyé notre dossier au complet le 24 octobre dernier. » Mais depuis quelques jours, le doute plane sur leur avenir et ils ne savent pas s’ils pourront obtenir un jour la résidence permanente : « Pourquoi devrions nous soumettre une nouvelle demande avec les nouveaux critères de sélection entrée en vigueur au 1er novembre alors que nous respections en totalité les critères précédents ? »
« Ce traitement est inhumain »
Hélène Raoul n’en revient toujours pas : depuis la semaine dernière, cette jeune pâtissière est consternée et inquiète pour son avenir. « Ce traitement est inhumain ; qu’en deux jours, tous ces mois de sacrifice soient réduits en cendre me consterne. » Cette Française est arrivée à Montréal il y a un an où elle a trouvé un emploi de pâtissière. « Je suis extrêmement heureuse, je me suis fait de nombreux amis, j’ai commencé à construire ma vie ici. Je travaille sans relâche pour atteindre mes 52 semaines. Je devais les avoir le 25 janvier ! » Mais la semaine dernière, tout a basculé. « Pâtissier ne figure pas dans la fameuse liste alors qu’il y a un manque cruel de main-d’œuvre dans ce secteur. » La trentenaire se dit dépitée : « Que le Québec change les lois est une chose mais qu’il prenne en otage de si nombreuses personnes avec une loi rétroactive qui va bouleverser la vie de nombreuses personnes, c’est injuste. »
Même consternation et même inquiétude pour Adeline Conin, arrivée en famille en 2018, 35 ans, mariée et maman de deux enfants dont la petite dernière est née au Québec. « Nous sommes installés dans les Laurentides. Mon mari travaille depuis plus d’un an à Laval et je m’occupe de notre fille d’à peine un an. Je travaille aussi les week-ends dans une fromagerie, raconte-t-elle. Mon fils de 6 ans va à l’école, nous vivons, payons, consommons québécois et canadien. Notre dossier a été envoyé le 23 octobre, reçu le 24 octobre. Mais à ce jour, nous ne répondons plus aux exigences du gouvernement. Et il se peut que nous soyons débités des 1140$ la semaine prochaine… Nous avons tout quitté, tout vendu en France. C’est notre projet de vie qui s’effondre. Lorsque le PEQ s’est ouvert à toutes les classifications, nous avons sauté sur l’occasion. Comment aurions-nous pu envisager une seule seconde que la porte nous serait claquée au nez à quelques jours d’obtenir le CSQ ? »
Le parrainage, une solution ?
Laura Paquit-Ganapini, elle, s’est mariée au Québec, et envisage de s’y établir avec son mari. Projet remis en cause ? « Je ne sais pas, déclare la Française. Ce qui est sur, c’est que je dois trouver un employeur qui accepte de me faire un permis ouvert, ou retourner aux études le temps que mon mari me parraine car le parrainage devient la situation la plus simple. Mais cela change nos plans, on voulait acheter une maison et je ne suis même pas sûre de trouver un visa pour rester ici ! Est-ce que je vais devoir rentrer ? Je suis serveuse, ce n’est peut être pas le métier le plus diplômé, mais j’aime ce que je fais et le Québec manque de main-d’œuvre dans ce métier comme pour les routiers. J’ai un bachelor mais j’aime ce que je fais et je devrais changer ma vie alors que l’on m’a promis tout autre chose ici ! C’est incompréhensible. »
« Quelle limite financière et psychologique ? »
Le parcours migratoire, Aurélia Morvan aussi en sait quelque chose. Depuis 2014, elle fait des allers-retours entre la Belle Province et la France pour être en règle” Elle pensait voir le bout du tunnel. « J’ai une maîtrise en journalisme, je travaille à Montréal dans le cadre d’un PVT et je suis touchée par le changement de règles du PEQ. Je vais avoir cumulé mes 52 semaines de travail à temps plein début février, mais je ne pourrai pas faire de demande, car mon métier de journaliste n’est pas dans la liste dressée par le gouvernement. »
« Depuis vendredi, nous sommes en panique », confie de son côté Claire Gras, qui a également découvert ces nouvelles dispositions en matière d’immigration. Son dossier a été déposé avant la réforme « mais les mesures sont rétroactives, commente la trentenaire. C’est incompréhensible, ça pose question. Les personnes qui étaient jusqu’à présent éligibles ne le sont plus du jour au lendemain, ça ne montre pas un système migratoire très stable. » Néanmoins, elle et son mari souhaitent s’installer au Québec, mais le compte à rebours est maintenant lancé. « Notre visa arrive à échéance en février 2020. Notre unique solution est que mon employeur s’engage dans une EIMT (étude d’impact sur le marché du travail), mais ça prend du temps. À nous aussi de savoir quelles limites financière, émotionnelle et surtout psychologique on se fixe… Ici, nous avons un réseau professionnel qui se développe, mais au final, tout cela est assez anxiogène et difficile à vivre. »
L’inquiétude des étudiants
Le milieu étudiant est aussi concerné. Pèle-mêle, voici Sira N’Guetta, étudiante en économie et politique à l’université de Montréal : « Je suis en dernière année de bac mais celui-ci n’est pas dans la liste des diplômes admissibles. Maintenant, j’envisage de faire à temps plein mon métier de répartitrice qui est dans la liste des emplois acceptés. Je ne fais cette activité qu’en plus de mes études, mais si c’est le seul moyen de rester au Québec, je n’aurai pas le choix. Ma soeur est dans la même situation ! » Ou bien encore Caroline Desprès, inscrite à l’Uqam, dont le cursus en « travail social n’apparait dans la liste des formation admissible ». « Le plus dur, c’est de sentir impuissant. Que peut-on faire ? »
Un groupe Facebook Non aux changements de règles pour le PEQ a été créé « dans le but de faire plier le gouvernement sur cette loi inadmissible » et pour organiser la mobilisation.