On les dit arrogants, prétentieux et parfois trop directs. Au Québec, comme ailleurs, les Français ont parfois du mal à se faire entendre de manière plus sereine et moins conflictuelle. “Sur 30 personnes présentes à nos ateliers, entre 7 et 10 sont français en moyenne”, nous a confié Robert Bouchard, formateur certifié en communication non violente et membre du groupe Conscientia. On l’a interviewé, en toute bienveillance, pour en savoir plus.
“On parle davantage de communication « consciente » pour mettre l’emphase sur la notion d’impact de moi sur l’autre et de l’autre sur moi. On enseigne du sens, à savoir la notion de besoins signalés par nos émotions”, nous corrige d’emblée l’expert, disciple de Marshall B. Rosenberg, lorsqu’on l’interroge sur ses ateliers de Communication Non Violente (CNV).
Concrètement, il ne s’agit ni de thérapie ni de psychologie mais de partage de codes communs de la communication. Des bases essentielles qui font parfois cruellement défaut aux participants, à commencer par celles et ceux qui viennent de France. “Ce sont des ateliers en co-animation, très yin yang. La première demi journée sert à poser le cadre théorique et à comprendre le cadre de référence. Ensuite, on rentre dans l’expérience à partir de cas réels : c’est un espace sécuritaire d’apprentissage, d’introspection, et d’échanges avec ses pairs. Chacun est autonome dans son apprentissage”, explique Robert Bouchard dont les séances ont lieu au moins deux fois par mois à Québec ou à Montréal.
Une formation expérientielle
“Bien que nous ayons parfois l’impression que notre façon de parler n’a rien de violent, il arrive que nos paroles soient source de souffrance pour autrui et pour nous-mêmes”, écrivait Rosenberg, fondateur de la CNV. Une phrase qui pourrait sembler anodine mais qui incite pourtant de plus en plus de Français à pousser la porte de ces ateliers réputés salvateurs. “Souvent, ils ont du mal à gérer cette dimension reliée au fameux pouvoir de la hiérarchie et à son impact, (…) et ils ont cette habitude à subir, se taire et à mettre sous le tapis”, confie Robert Bouchard qui constate une grande différence avec les Québécois, habitués à remettre en cause l’autorité — bien qu’ils soient plus réservés que leurs cousins français. Tout est dans la forme.
“Il est vrai que les Français ont tendance à être stimulés par la chicane et à juger facilement ! Mais ce n’est pas une tare, c’est une caractéristique. Cela va de pair avec leur côté rationnel : ils vont expliquer, démontrer, se justifier tout en restant sur la réserve au niveau de leurs émotions“, explique celui qui connaît bien les travers de l’âme humaine, ravi de répandre le “mieux être” dans la société. À l’issue des ateliers, certains participants avouent sentir une réelle différence dans leur manière de percevoir leur entourage. “Ça a changé ma vie !”, entend parfois Robert Bouchard, spectateur de métamorphoses mentales. “C’est comme si, d’un seul coup, les participants voyaient enfin ce qui se passait en eux et donc chez les autres : lorsqu’ils communiquent, ils ne voient plus leur interlocuteur comme un ennemi qui tente de les agresser, mais simplement comme quelqu’un de maladroit sans malveillance, par exemple”, raconte le formateur qui précise qu’il faut compter 2 jours d’atelier pour que cela fasse effet. “C’est une formation expérientielle, facile à comprendre mais pas forcément à intégrer.”
Ils ont testé pour vous
Alexis-Michel Schmitt-Cadet et Léa Lefevre-Radelli font partie de ces Français de Montréal qui ont tenté l’expérience, par curiosité d’abord sur les conseils d’une amie. “Avant l’atelier, je n’avais jamais pris conscience que j’avais des besoins et que j’étais légitime à les exprimer”, confie Léa, doctorante française en sciences de l’éducation et anthropologie à l’UQAM, qui a réalisé qu’elle était victime d’autocensure malgré elle. “Je n’arrivais pas à me connecter avec mes proches autant que je le voulais car j’étais davantage dans la critique et le jugement”, poursuit celle qui estime qu’en France, on est habitués à (se) critiquer, à juger et à se défendre de manière exacerbée dès le plus jeune âge.
“En arrivant au Québec, j’ai été agréablement surprise que mes collègues me soutiennent d’office dans mes idées et mes projets au lieu de me dire que c’était nul, par exemple”, se souvient la jeune femme de 28 ans, portée par la bienveillance et la dynamique de non-ingérence (dans la vie d’autrui) propres au Canada. “Maintenant, je sais aussi que je suis légitime, autant que les autres, à avoir des limites. J’ai eu un vrai déclic avec la CNV ! C’était beau et décourageant à la fois car l’image que j’avais de moi était biaisée depuis des années.”
Son conjoint, Alexis-Michel, a quant à lui découvert qu’il avait des émotions et qu’il avait droit de les exprimer, mais pas n’importe comment. “J’ai aussi réalisé qu’on n’avait pas bien appris à communiquer ! Qu’on soit ici ou ailleurs, c’est quelque chose qui ne fonctionne pas. En France, on a appris à être en compétition les uns contre les autres sans jamais communiquer entre nous”, déplore celui qui pratique aussi le bouddhisme. “Avant de faire l’atelier, je ne savais pas que je coupais autant la parole, surtout aux femmes, ni que je n’écoutais pas les autres ou que j’avais tendance à vouloir donner mon avis en pensant que j’avais toujours raison, sans jamais écouter mon interlocuteur”, confie le trentenaire, thérapeute en relation d’aide, qui avoue avoir eu du mal à “encaisser” au début.
Faire preuve d’intelligence relationnelle
Car pratiquer ces ateliers récurrents, c’est aussi et surtout se faire violence justement, mettre les pieds dans le plat et parler de situations généralement peu évoquées au quotidien. Un mal pour un bien. “On est assez vulnérables les premières fois, c’est vrai, et rapidement, cela nous aide. Même dans la sphère privée”, raconte Alexis-Michel qui dit avoir évité certaines “chicanes de couple” grâce à la CNV. “Maintenant, on est capables de connaître nos réactions, de demander à l’autre de reformuler et de lui faire part de nos sentiments. Cela a changé notre dynamique de couple, pour le meilleur”, constate Alexis-Michel, plus québécois que français, qui teste ses compétences en CNV lorsqu’il rentre en France pour les vacances. “Je me demande : comment écouter calmement ce(ux) qui me déclenche(nt) à 1000% ? Réponse : en mettant à l’épreuve tout ce que la CNV m’a appris ! Je suis capable de voir la souffrance en l’autre maintenant”, raconte l’homme bienveillant qui a appris à prendre sur lui.
À celles et ceux qui croiraient que la CNV consiste à ne plus rien dire du tout, le couple répond que c’est le contraire. “Il s’agit en réalité de tout dire en prenant responsabilité sans avoir peur et sans rejeter la faute sur l’autre. On peut aussi être en colère en CNV, évidemment !”, lance Léa selon qui la communication non violente s’apparente surtout à de l’intelligence relationnelle que tout le monde devrait pratiquer.
Seul bémol peut-être à ces ateliers, leur coût. “C’est encore réservé à des personnes qui en ont les moyens, il faut le reconnaître. Mais d’ici peu, nous sommes certains que ce sera plus accessible, on y travaille”, lance le duo toujours en lien avec les membres de Conscientia dont la formation d’introduction s’élève à 295$ pour deux jours (sans compter les taxes).
Premiers conseils pour communiquer sans violence
1- Éviter de confondre les faits avec les émotions
2- S’ancrer dans le moment présent
3- Se relier au besoin
4- Appuyer son affirmation sur des faits, vérifier et ouvrir une négociation
Il convient surtout de trouver une manière de communiquer qui génère l’adhésion, de créer un espace sécuritaire et d’instaurer un espace de dialogue (pour construire ensemble) plutôt qu’un espace de “discussion” (mot qui a d’ailleurs la même origine que “percussion”). À méditer… Faites-en bon usage.