Google traduction a ajouté le français québécois en option, on a donc voulu en savoir plus sur ses origines, son évolution, ses expressions et son accent. Mais aussi, ses subtilités, car le québécois c’est avant tout du français, bien trop souvent réduit au fameux joual. Interview avec Julie Auger, professeure titulaire au département de linguistique et de traduction, à l’université de Montréal, pour être incollable sur le sujet…
C’est un mythe que je vais démentir. Pour les linguistes, le terme « ancien français » fait référence à la première période du français quand ce n’était plus du latin, environ jusqu’au 14e siècle. Et quand on dit, le français québécois c’est le français du 17e siècle, c’est également faux. Il y a certes des mots, des prononciations qu’on a conservés, des éléments qu’on trouvait des deux côtés de l’Atlantique à ce moment-là, comme par exemple, le déjeuner, dîner, souper. Et si on regarde en Picardie ou en Normandie, encore aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui déjeunent le matin, qui dînent le midi et qui soupent le soir. Il y a donc des éléments qu’on a gardés, mais le français au Québec a aussi beaucoup changé.
On a emprunté aux langues qui nous entourent. Par exemple, on a des mots autochtones qui reflètent surtout notre lien avec la nature, la faune, la flore… On a évidemment emprunté à l’anglais dès la conquête de la Nouvelle-France et encore aujourd’hui. On est aussi en contact avec des francophones de partout dans la francophonie. Donc, il y a des mots, des prononciations qu’on a eus pendant des siècles et qui sont en train de se perdre. C’est le cas du « maïs », au Québec, pendant des siècles, on appelait ça du « blé d’Inde ». Il y a aussi des éléments du créole haïtien qui entrent en compte, parce qu’il y a une très grande communauté haïtienne à Montréal. Et évidemment, ça a une influence sur le français qu’on parle dans la ville. Mais c’est très récent. Le français québécois s’internationalise d’une certaine façon !
Le joual, c’est un niveau de formalité, ça correspond à ce que j’appelle le français familier, le français de tous les jours. C’est un mot que nous, les linguistes, on évite d’utiliser parce que c’est très connoté. Ce terme a été popularisé par Jean-Paul Desbiens dans les années 60 dans un livre qui s’appelle « Les insolences du Frère Untel », dans lequel il dénonçait la mauvaise qualité du français qui était parlé au Québec. Celui qui est employé notamment par des personnes moins scolarisées ou de la classe ouvrière. Le fait de dire « char » pour voiture, par exemple ou d’utiliser des anglicismes, c’est du joual. Les personnes le parlent souvent quand elles sont entre ami(e)s autour d’une bière. Mais on ne parlera pas de cette façon quand on passe une entrevue pour un emploi, par exemple.
Je sais qu’à la télévision il y a eu vraiment un changement d’attitude dans les années 60, les gens essayaient de parler un français plus international/ hexagonal et graduellement à Radio Canada, il y avait des cours de diction pour essayer de gommer son accent. Mais si on parle des personnes dans la vraie vie, il y a beaucoup de traits de l’accent québécois qui se sont perdus au fil du temps. Toujours dans les années 60 à Montréal, tout le monde avait un R roulé et ce R a disparu en 50 ans. On parle aussi de l’accommodation linguistique, en tant que personne québécoise on sait très bien que notre français est différent et que parfois ça peut poser des problèmes de communication donc on peut faire l’effort plus ou moins conscient de minimiser des traits québécois.
Il y a évidemment les sacres, les gros mots québécois. Pourquoi est-ce qu’on dit « criss » (du mot Christ), « câlisse » (calice), c’est parce que la religion catholique nous a tellement dominés jusqu’en 1960, ça fait partie de notre histoire. On peut les conjuguer et les utiliser comme des noms, des adjectifs. Et quand on est énervé on peut les accumuler, comme « criss de câlisse de tabarnak ». Il y a aussi les tics de langage, par exemple vous dites beaucoup « du coup », c’est le stéréotype des Français. Nous, les Québécois, on dit « faque ». Et ce « faque », ça vient de « sachez que », c’est un peu un symbole de notre identité !
Il y a tellement de personnes au Québec qui sont très puristes envers le français et qui passent leur temps à dire qu’au Québec on le parle mal. Je ne crois pas que ce soit la bonne façon d’encourager les personnes à continuer à parler et apprendre le français. Je dirai aussi que d’avoir créé, en 1961, l’Office de la langue française ça a aidé à le préserver, car si on avait décidé de promouvoir le joual, comme certaines personnes l’ont proposé, je pense qu’aujourd’hui on parlerait tous anglais.