Vous avez sans doute remarqué cette mention un peu déconcertante “Je me souviens” en bas des plaques automobiles au Québec, assortie de la fleur de lys bleue. Mais de quoi les Québécois sont-ils censés se souvenir? Certains d’entre eux ne seraient pas vraiment au courant… Maudits Français a mené l’enquête.
Il faut remonter à 1883 pour retrouver l’origine de cette formule. À cette époque, l’architecte Eugène-Etienne Taché conçoit les plans du Palais législatif du Québec (l’actuelle Assemblée Nationale). Il fait graver dans la pierre, sous les armes du Québec qui apparaissent au-dessus de la porte principale du parlement, la devise “Je me souviens”.
Emballées par la formule, les autorités l’adoptent durant plusieurs décennies et en 1939, elle figure sur la liste des nouvelles armoiries du Québec. Le problème, c’est que personne n’a pris le soin de lui donner une signification officielle précise… y compris en 1978, lorsque le gouvernement Lévesque la fait inscrire sur les plaques d’immatriculation québécoises pour remplacer le slogan publicitaire “La Belle Province”.
De ce fait, les interprétations divergent et s’emballent. Certains journaux anglophones y voient même un affront au passé britannique du Québec, la formule se référant selon eux à la Nouvelle-France et la Conquête. D’autres au contraire l’interprètent comme un éloge de l’administration anglaise.
Au coeur de la controverse suscitée par la fameuse devise, Hélène Paquet, petite-fille d’Eugène-Etienne Taché, expliqua en 1978 qu’il fallait la replacer dans une expression complète de son grand-père comme suit : “Je me souviens / que né sous le lys / je croîs sous la rose”. Toute consensuelle et rassembleuse que soit cette formule, l’historien Gaston Deschênes établit par la suite qu’elle n’en était pas moins fausse. Selon lui en effet, Taché serait bien l’auteur de l’ensemble de ces mots mais les citations “Je me souviens” et “Né sous le lys, je grandis sous les roses” auraient été créées pour deux monuments différents et n’auraient donc jamais eu vocation à être juxtaposées.
Finalement, il semble bien qu’en revenant au contexte dans-lequel la devise a été gravée dans la pierre, on puisse en deviner la réelle signification. En effet, Eugène-Etienne Taché n’a pas fourni d’explications sur la formule elle-même mais dans un mémoire adressé à l’assistant-commissaire (sous-ministre) des Travaux publics en 1883, il évoque “l’ensemble des souvenirs” qu’il souhaite retracer dans la décoration de la façade de l’hôtel du Parlement. On comprend que Taché voulait faire un monument à la mémoire des héros de l’histoire du Québec, qu’ils soient militaires, explorateurs, autochtones, administrateurs du Régime français ou anglais…
Lorsque vous êtes coincé dans les embouteillages et cerné par cette formule omniprésente, pensez donc à Jacques Cartier, Champlain, Maisonneuve ou toute autre figure illustre de l’histoire québécoise, et vous respecterez probablement les intentions d’Eugène-Etienne Taché. Et si vous préférez retenir l’interprétation des journaux anglophones sur la Nouvelle-France et la Conquête, alors vous êtes vraiment un “Maudit Français” !