L’humour est l’essence même des références culturelles. Alors aborder l’humour d’une autre culture, c’est essayer de comprendre de quoi et surtout pourquoi l’autre rit. Parfois, il s’agit d’un sujet dont on n’a aucune idée ou cela peut être l’approche avec laquelle on est en discordance. On saisit mal les références, les allusions ou parfois c’est le jeu subtil avec la langue qui nous perd en chemin, même si cette langue est censée être un aspect culturel commun, comme la langue française entre les Français et les Québécois.
« On peut rire de tout… mais pas avec n’importe qui’’
On attribue cette phrase, peut-être à tort, à Pierre Desproges. On ne rit pas tous des mêmes choses. Mais pour des Français au Québec, se pencher sur l’humour est peut-être un des meilleurs moyens d’approcher les différences qui font toute la saveur des relations interculturelles. L’humour est quelque chose d’insaisissable, il ne souffre pas d’être expliqué car alors toute la magie s’évapore. L’humour réside souvent dans ce télescopage étrange entre le subtil et l’osé, entre le convenu et l’inattendu, la norme et le décalage. L’humour ne peut-il pas être universel alors? L’humour joue avec les mots, la culture, les références temporelles, générationnelles ou socio-économiques. L’humour table sur le commun, alors quand on arrive de France comment décrypter l’humour du Québec ? La pratique ! Spectacles, émissions de télévision, réseaux sociaux. Plongez, il en restera toujours quelque chose et vous vous ferez une idée. Cela enrichira votre intégration, même si vous ne comprenez pas tout, les premières fois !
À chaque culture son humour
Je ne saurais trop vous conseiller de vous plonger avec plaisir et parfois avec stupéfaction dans la série documentaire sur Netflix, Comedians of the world. Vous y découvrirez 47 humoristes de 13 régions du monde offrant des perspectives très différentes sur ce qui fait rire. Il y a trois humoristes du Québec dans la série : Louis-José Houde, François Bellefeuille et Adib Akhalidey ainsi que la Franco-Ontarienne Katherine Levac, qui ne sont cependant pas les plus irrévérencieux, ni les plus avant-gardistes.
À manier avec précaution
S’il peut être frustrant de ne pas comprendre, de ne pas rire parce que vous vous sentez perdu, même si ce n’est pas agréable, cela n’a pas de grandes conséquences sociales. Mais, quand c’est vous qui faites de l’humour, soyez vigilant. En effet, il est crucial de manier l’humour avec précaution en tant que nouvel arrivant au Québec. L’humour est l’écho d’une société avec des subtilités qui sont souvent délicates à comprendre, encore plus à manier de façon pertinente. On peut entendre les mots mais manquer la signification profonde et les allusions, parfois très subtiles. Les contresens peuvent être délicats. Le sens de l’humour est toujours quelque chose de difficile à définir. On joue de façon frontale ou complètement décalée sur la déviation de la signification d’un mot, d’une situation. Vous risquer à jongler avec l’humour, au travail en particulier, quand vous êtes nouvel arrivant peut parfois être explosif. Avant de vous lancer, écoutez, prenez vos repères… pour ne pas faire d’impair.
Les sujets délicats, différents ici ou ailleurs
Si l’humour français manie avec habileté le troisième degré, l’ironie, la dérision et un petit esprit cynique, et parfois – même si nous sommes en 2023 – un peu de sexisme, ces approches passent mal au Québec. Politique, Autochtones, immigration, argent, religion, diversité, rapport au corps, orientation sexuelle, enjeux sociétaux… le curseur du politiquement correct n’est pas le même en France ou au Québec. Si le Québec est friand d’humour, on se veut rassembleur, faire rire, mais pas fâcher. On revient un peu au consensus si cher au Québec, dans le travail comme dans la vie sociale. L’humour n’y échappe pas. Mais il y a de nouveaux humoristes qui bousculent quelque peu l’establishment de l’humour de la vieille garde des Louis-José Houde, François Perusse, Lise Dion ou Martin Matte. Un ovni dans le monde de l’humour à découvrir, André Sauvé.
Ces humoristes issus de la diversité
Longtemps perçu comme un terrain de jeu réservé aux hommes blancs, le milieu de l’humour se transforme. Mais, même si de plus en plus de femmes et d’humoristes issus de la diversité culturelle ou sexuelle se font connaitre, il y a place à l’amélioration. Un certain Sugar Sammy commençait à aborder, il y a déjà 25 ans, l’interculturel (il parle 4 langues) mâtiné de ses origines multiculturelles et fait des spectacles partout dans le monde. Mais une nouvelle génération d’humoristes le suit, comme Emna Achour, Maxime Gagnon, Charles Brunet, P-O Forget, Ekika Suarez, Neev, Sinem Kara… Emna Achour aux origines tunisiennes, humoriste féministe, anti-raciste et écolo incarne à merveille un engagement et une nouvelle manière d’aborder l’humour très ancrée dans les enjeux actuels du Québec. J’ai eu le plaisir de découvrir le spectacle choral de Emna Achour, Québécoises, que vous le vouliez ou non avec Erika Suarez, Claudia Lopez, Allesssee et Garihanna Jean-Louis. Une façon décalée de plonger dans la réalité socio-économique du Québec. Je voulais terminer avec une personne un peu hors cadre, entre Québec et France, qui aborde l’aspect interculturel, Solange te parle. Cette Québécoise qui vit en France témoigne de la rencontre entre culture française et québécoise par un biais tout à fait inusité. À découvrir!
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A propos de l’auteur: Cécile Lazartigues-Chartier, consultante en inter-culturel, et montréalaise d’adoption depuis 25 ans, partage chaque semaine sur Maudits Français ses conseils pour bien vivre l’expérience québécoise.
One Response
Un article véritablement très intéressant et surtout très instructif, rappelant parfaitement les différences culturelles malgré les racines communes de la langue française.