Des annonces plus restrictives se succèdent, ces dernières semaines, de la part du gouvernement fédéral, qui souhaite diminuer le nombre de résidents temporaires dans le pays. Les « règles du jeu » sont en train de changer rapidement et bouleversent les projets de vie de nouveaux arrivants ou de personnes déjà bien installées. On essaie d’y voir plus clair avec des experts en immigration, pour comprendre qui est réellement concerné par ces mesures et surtout qu’est-ce que ça présage pour la suite ?
« J’ai le sentiment de ne plus être la bienvenue »
Entre sentiment d’injustice et interrogations inquiètes, nombre d’immigrants touchés par ces nouvelles mesures doivent s’adapter aux récentes annonces faites par les gouvernements du Québec et du fédéral, qui imposent des critères plus strictes pour les permis fermés avec EIMT (étude d’impact sur le marché du travail), les étudiants et désormais les conjoints. Camille en fait partie, elle est aujourd’hui en PVT à Montréal jusqu’à janvier 2025. Son poste actuel n’est pas éligible aux nouvelles normes du permis fermé. Elle se retrouve actuellement dans une impasse : « si je garde cet emploi jusqu’à la fin de mon PVT, je n’aurai d’autres choix que de rentrer en France parce qu’en dehors de la résidence permanente, que je ne peux pas me permettre de financer actuellement, je n’aurai aucun autre moyen de rester sur le territoire. (…) Ces nouvelles mesures me font craindre pour ma stabilité et me rendent de plus en plus anxieuse quant à mon futur dans ce pays que j’apprécie pourtant profondément ». Nombreux sont ceux qui font preuve de résilience et s’adaptent désormais en modifiant leurs plans, soit pour quitter l’île de Montréal ou déménager vers une autre province. D’autres se résignent même à changer radicalement de cap, comme Julien, « je me suis senti très mal au début…je tournais en rond, n’ayant plus de solution…mais je le prends bien maintenant. C’est la fin d’une aventure mais le début d’une nouvelle », direction pour lui l’Australie, en PVT.
Qui sont les plus touchés ?
Dans l’immédiat, ces mesures semblent avoir un « faible impact », d’après les chiffres évoqués par le fédéral, le nombre de résidents temporaires passera de 6,5 % de la population totale du Canada à 5 % d’ici 2026. Mais selon Nadia Barrou, avocate en immigration, ces annonces doivent tout de même être prises au sérieux. Elle estime que les conséquences les plus importantes se font ressentir chez les personnes qui doivent renouveler leur permis : « je veux bien qu’ils décident de réduire l’immigration, par contre, pour les gens qui sont déjà ici, c’est leur mettre des bâtons dans les roues ». Mais ce qui a le plus affecté les Français, selon Maître Barrou, c’est la réforme datant du printemps dernier, « le conjoint ne peut plus avoir un permis de travail rattaché au permis d’étude de l’autre conjoint, sauf s’il fait une maîtrise, un doctorat ou un baccalauréat dans des spécialités médicales ». Autre coup de théâtre, une mesure, annoncée le 18 septembre dernier, qui devrait impacter cette fois beaucoup plus de couples : à partir de fin 2024, les conjoints de travailleurs au Canada ne pourront demander un permis ouvert que si leur partenaire (en PVT, Jeunes pro, VIE…) occupe un poste de gestion ou dans un domaine en pénurie.
On resserre les boulons
Historiquement, les spécialistes s’accordent à dire que ce n’est pas nouveau : « on a déjà vécu ces vagues là par le passé. On a eu des périodes où c’était encore plus restrictif que maintenant. Donc ça dépend de beaucoup de choses, du contexte économique, politique… Parfois c’est l’approche d’élections qui fait que le gouvernement va être plus sévère en immigration », explique Nadia Barrou. La professeure de science politique et de l’équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ÉRIQA), à l’Université de Montréal, Catherine Xhardez, est du même avis. Elle rappelle qu’il y a eu comme « un appel d’air » post-Covid. De nombreuses mesures ont alors été assouplies durant la relance économique, « on ne s’est peut-être pas rendu compte que ça allait mener à autant de personnes qui arrivaient au même moment (…) comme une machine, on a trop desserré les boulons, et aujourd’hui on va en resserrer certains ». Mais elle affirme qu’on ne peut pas dire que le Canada est contre l’immigration temporaire, « c’est totalement faux ! ». Les élections fédérales de 2025 sont aussi à suivre de près concernant l’avenir de l’immigration au Canada, avec le risque d’un retour des conservateurs au pouvoir, en tant que Premier ministre, là où Justin Trudeau (parti libéral) voit sa cote de popularité descendre dans les derniers sondages. Mais Catherine Xhardez se veut rassurante, « les conservateurs ici, ce n’est pas forcément des gens anti-immigration, ce n’est pas comme les grilles de lecture européenne ». La professeure reste aussi confiante quant à l’avenir de l’immigration chez les Français, « c’est sûr qu’il y a des gens qui vont être impactés, mais ce n’est pas ce type d’immigration qui est vraiment ciblé, (…) il y a quand même des liens particuliers entre certains pays, (comme la France), avec des accords bilatéraux, ce sont des échanges et des intérêts économiques qui sont en jeu ».
Des solutions de repli
Il y a tout de même plusieurs options envisageables pour Nadia Barrou, soit « les employeurs montréalais augmentent le salaire de leurs employés qu’ils veulent garder (à 27,47$ de l’heure) pour être éligible aux nouvelles normes du permis fermé avec EIMT imposé au Québec, soit ils appuient leurs travailleurs pour obtenir la résidence permanente ». Mais la partie anglophone est, selon elle, une issue actuellement moins contraignante et plus rapide, via une Mobilité francophone, qui est exemptée de l’EIMT, « il suffit de parler français, d’avoir un emploi et le permis est délivré », ou bien, via l’Entrée Express (résidence permanente en provinces anglophones). Il existe aussi l’option d’un second PVT par le biais d’organismes reconnus, mais les places se font rares et nécessitent un certain coût. Sinon, Maître Barrou propose souvent un retour aux études à ses clients. Mais ce qu’elle conseille avant tout c’est de s’informer, de bien anticiper les démarches et de rester à jour, car « l’immigration est un domaine qui change beaucoup. Dans le métier, on dit souvent que le droit en immigration est un sport extrême », ironise-t-elle.