Ce jeudi 9 juin, French Morning et Maudits Français ont organisé et modéré un débat dans les locaux de l’Union Française de Montréal, au Québec, en prévision du second tour de l’élection législative en Amérique du Nord (les Français de l’étranger ont voté pour le premier tour de manière anticipée). Il opposait Roland Lescure, député sortant et candidat de la coalition de la majorité présidentielle Ensemble!, à Florence Roger, candidate de l’alliance de gauche Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES). Pendant un peu plus de 90 minutes, l’échange, musclé mais néanmoins cordial, a mis en lumière deux projets très différents, voire opposés, pour la France et les Français. Les deux candidats ont répondu aux questions d’Elisabeth Guédel et d’Alexis Buisson.
C’est dans tous les esprits : l’hypothèse d’une victoire de la NUPES aux législatives et donc d’une cohabitation – la première depuis 2002 – n’est pas à écarter. Florence Roger a réaffirmé son désir de voir Jean-Luc Mélenchon se hisser au poste de Premier ministre. La perspective d’avoir ainsi deux visions de la France et du monde aussi différentes à la tête de l’exécutif peut inquiéter en période de guerre en Europe. La candidate de la NUPES s’est voulu rassurante : « Cette gestion à deux tête se fera très bien au sujet de l’Ukraine. Jean-Luc Mélenchon ne s’est quasiment jamais opposé aux décisions d’Emmanuel Macron, il est tout à fait d’accord pour rester en contact avec Poutine, nous prônons la diplomatie plutôt que la guerre ».
Roland Lescure, qui a ciblé Jean-Luc Mélenchon à plusieurs reprises durant le débat, a accusé le chef des Insoumis d’avoir été, dans le passé « extrêmement laudateur sur Vladimir Poutine, absolument convaincu que la Russie n’envahirait jamais l’Ukraine » et de défendre un partenariat stratégique avec la Russie. « Jean-Luc Mélenchon est capable d’admettre qu’il s’est trompé et n’a jamais eu un seul message complaisant à l’égard de Monsieur Poutine » a retorqué Florence Roger avant d’ajouter : « on est beaucoup à n’avoir pas anticipé la tragédie qui est en train de se produire ».
Florence Roger a également confirmé être défavorable à la sortie de la France de l’Union Européenne. Haussement de ton lorsque Roland Lescure a mentionné la position de Jean-Luc Mélenchon au regard de l’OTAN – « il se méfie des Américains, des Canadiens, des Allemands, c’est un homme depuis longtemps tourné vers l’Est » estime le député. Ce à quoi la candidate de la NUPES a répondu, quelque peu sur la défensive, qu’il n’était pas question de sortir de l’Alliance atlantique en période de guerre. « C’est le président de la république qui peut sortir de l’OTAN, a-t-elle rappelé. Donc rassurez-vous, le “grand ogre” Jean-Luc Mélenchon ne sortira pas de l’OTAN durant les cinq prochaines années. »
Il va sans dire que député des Français de l’étranger n’est pas une fonction traditionnelle. « C’est dur d’être député de la nation et député des Français de l’étranger », confirme le candidat sortant, appuyé par son opposante qui qualifie cette campagne électorale de « schizophrénique ». Les deux candidats estiment l’un et l’autre qu’il est difficile de joindre l’ensemble des Français d’Amérique du Nord, compte tenu de l’étendue du territoire, mais s’engagent à s’appuyer sur les élus locaux – les conseillers des Français de l’étranger. À la question de savoir pourquoi elle ne s’était pas rendue en Floride où elle a réalisé un score quatre fois inférieur à celui de l’ensemble de la circonscription Amérique du Nord, Florence Roger a répondu qu’une campagne « courte » comme celle de ce premier tour a nécessité de faire des choix de déplacements tout en promettant d’aller à la rencontre des Français de Floride si elle est élue.
S’il advenait qu’elle devait siéger à l’Assemblée nationale, Florence Roger promet d’être un députée « très libre » qui n’hésitera pas à voter selon ses propres « convictions » et « éthique » au sein du groupe NUPES. Une liberté dont doute Roland Lescure, accusant les 18 députés de LFI d’avoir voté « comme un seul homme » durant les cinq dernières années et « systématiquement contre le gouvernement ». Le député sortant assure pour sa part que, s’il est réélu, il continuera à collaborer avec « toutes les oppositions », comme il l’a fait durant son mandat pour faire adopter des textes et « avancer ».
Le rôle de député, c’est aussi prendre des décisions difficiles. Le sujet des pesticides a été l’occasion de le rappeler pour Roland Lescure, en réponse à une question d’un lecteur de French Morning. Le député sortant, qui a voté à l’Assemblée nationale en faveur de la réintroduction des néonicotinoïdes – pesticides mis en cause dans l’effondrement des populations d’abeilles – dans les champs de betteraves, a pris le temps d’expliquer sa décision – « sauver 50.000 emplois » de la filière. « Si vous vous retrouvez au pouvoir, vous aurez à prendre des décisions difficiles face à ces contradictions qui font que la transition écologique ne doit pas se faire au détriment de l’emploi », a-t-il lancé à son opposante. Roland Lescure admet être d’accord « avec à peu près 80% » des objectifs de la NUPES en matière de priorités écologiques – Florence Roger a saisi l’occasion pour les détailler – « en revanche, sur les moyens et sur les méthodes, nous serons extrêmement différents, assure-il. Je préfère l’incitation à l’interdiction et associer tous les acteurs plutôt que de les antagoniser ».
Florence Roger et Roland Lescure s’opposent catégoriquement sur les questions de la gestion de l’inflation, la fiscalité et la réforme des retraites. Selon la candidate de la NUPES, la réponse à l’inflation – qui a atteint 5,2% en France le mois dernier – se trouve dans la hausse des salaires et un contrôle des prix. Elle juge les mesures du gouvernement, le chèque alimentation en préparation notamment, insuffisantes. « C’est ce qu’on appelle sortir un arrosoir en cas d’incendie » a-t-elle lancé. « Les dépenses publiques, il va falloir les financer » lui a rétorqué le candidat de la majorité, rappelant qu’avec son programme, la NUPES risquait de « cramer la caisse » – expression empruntée à Valérie Pécresse, comme il l’a rappelé.
Roland Lescure est revenu à plusieurs reprises sur la promesse des Insoumis d’appliquer un impôt universel à tous les Français, quel que soit leur lieu d’habitation. « Je ne souhaite pas que les impôts augmentent, ni pour Français de France ni pour les Français de l’étranger » a réaffirmé le député Ensemble!, tandis que Florence Roger avançait la lutte contre l’évasion fiscale – qu’elle estime à 80 à 120 milliards d’euros par an – pour justifier la mesure fiscale phare de la Nouvelle union populaire.
Sur l’exonération des CSG et CRDS pour les Français de l’étranger, Roland Lescure soutient que, grâce à son travail durant cinq ans, 90% des Français d’Amérique du Nord parvenaient à en être exemptés. Le candidat sortant a néanmoins fait part de la difficulté pour les députés des Français de l’étranger de se faire entendre : « Quand vous avez 566 députés de la nation qui regardent les 11 députés des Français de l’étranger, je peux vous dire que c’est difficile de les convaincre. »
Question retraites, Florence Roger s’oppose à la réforme proposée par Emmanuel Macron prévoyant de reculer l’âge du départ à 65 ans. La NUPES propose 60 ans. « On veut libérer des postes pour ceux qui en ont besoin et permettre à nos retraités de vieillir en bonne santé », assure la candidate de l’union de la gauche en se référant à une enquête de Libération selon laquelle 27% des personnes les plus pauvres ne vivaient pas jusqu’à l’âge de leur retraite, source discutée par Roland Lescure… Selon lui, l’idée d’un retour à l’âge de la retraite à 60 ans ne tient pas compte des tendances démographiques actuelles.
Sur l’éducation, les deux candidats s’accordent pour dire que le système d’attribution des bourses scolaires afin d’accéder aux établissements français de l’étranger posent problème. Florence Roger juge qu’il faut permettre à plus de personnes d’y accéder. Selon Roland Lescure, les critères d’attribution doivent être revus à la lumière notamment des spécificités de chaque ville d’Amérique du Nord, en tenant compte des prix du marché de l’immobilier.
Par ailleurs, le programme FLAM (Français LAngue Maternelle) doit, selon les candidats, être mis en avant afin de permettre aux expatriés d’offrir à leurs enfants un bon apprentissage de la langue française.
Les opposants ont échangé quant aux conditions permettant aux Français de l’étranger d’accéder à une carte vitale afin de se soigner sur le territoire national. Florence Roger a exprimé le souhait de permettre aux retraités assujettis à la CSG de pouvoir se soigner en France. Elle a également présenté la Caisse des Français de l’Étranger comme un système à parfaire.
Avant de clore le débat, French Morning a questionné les candidats quant au rôle des consulats en Amérique du Nord. Roland Lescure, fervent défenseur de la dématérialisation des démarches administratives – dont le renouvellement des passeports – assure qu’il ne s’agit pas d’affaiblir les missions des consulats mais de simplifier la vie de Français. Une vision non partagée par la candidate de la NUPES qui estime qu’encore trop peu de personnes ont accès au numérique ou en ont la maîtrise.
Le ton était parfois tendu mais les deux candidats ont fini le débat en invitant les électeurs à « user et abuser » de leur droit de vote. Roland Lescure a estimé en conclusion de ce débat – le candidat d’Ensemble! avait le mot de la fin selon le tirage au sort – en affirmant que « plus les Françaises et Français de l’étranger voteront, plus la France gardera les fenêtres ouvertes sur le monde ».
Le replay de ce débat d’entre-deux-tours, c’est ici.
Le vote par internet pour le second tour de la législative se déroule du vendredi 10 juin à midi heure de France au mercredi 15 juin à midi, toujours heure de France. Le vote à l’urne se tiendra le samedi 18 juin.