Bon dernier de la Ligue nationale de hockey (LNH) cette saison, la franchise des Canadien de Montréal fait triste mine, la ville et ses habitants avec. L’équipe tricolore a remercié le mois dernier son directeur général, Marc Bergevin, en poste depuis 2012 et remplacé par l’agent de joueurs Kent Hughes. L’effervescence exceptionnelle créée dans la ville par la qualification surprise du club en finale de la Ligue l’été dernier est déjà oubliée. Une courte euphorie qui a rappelé aux yeux du monde que les Canadiens de Montréal, équipe la plus titrée de la LNH avec 24 Coupes Stanley, jouit d’une popularité singulière à tel point que les performances de l’équipe impactent le moral des Montréalais et donnent le pouls de la métropole.
Il faut dire que l’histoire est ancienne entre le hockey sur glace et Montréal, bien avant l’existence du Canadien et ses « partisans ». Le premier match officiel et codifié de hockey moderne se dispute à Montréal en 1875. Un sport dont les Francophones sont absents. « Le hockey a été créé à l’origine par les Anglophones qui en gèrent l’organisation à l’instar des autres sports, explique l’historien Michel Vigneault, auteur d’une thèse sur l’histoire du hockey montréalais. Les Francophones ne sont pas intéressés au départ car leur population comprend des agriculteurs et des ouvriers issus des zones rurales alors que le sport est un monde urbain où règne la bourgeoisie, qui a le temps de se divertir. »
L’intérêt des Francophones envers le hockey apparaît en 1895 avec l’aide des Irlandais catholiques qu’ils côtoient au sein des collèges classiques (établissements d’enseignement secondaire gérés par le clergé québécois). Ainsi les premiers Canadiens français intègrent les équipes amateurs à majorité irlandaise des collèges. La proximité des deux principaux collèges de Montréal, Sainte-Marie et Mont-Saint-Louis, favorisent la multiplicité des rencontres et l’éclosion de talents.
Ce contexte est propice à la création d’équipes et de ligues professionnelles comme le Canadien en 1909. « Le Canadien est né par hasard, raconte Michel Vigneault. Les Wanderers de Montréal, club anglophone, sont expulsés d’une ligue car ils souhaitaient jouer sur une autre patinoire, l’Aréna Jubilée dans l’Est francophone de la ville alors que les autres équipes voulaient demeurer à Westmount. Les Wanderers fondent alors une nouvelle ligue de leur côté mais veulent attirer du public dans ce quartier et décident donc de créer une équipe francophone. »
Le Canadien naît donc à l’origine d’un besoin de compétitivité par un club anglophone. « Cette dichotomie entre Anglophones et Francophones régit l’évolution du hockey et du Canadien jusque dans les années 1980, détaille l’historien. La confiance met du temps à s’installer mais le hockey canadien français devient viable avec une première Coupe Stanley pour le Tricolore en 1916. »
Racheté par l’équipe anglophone des Maroons en 1938, l’organisation montréalaise évite de peu de passer du côté américain et devient l’unique club de hockey professionnel de la ville. Sa popularité et sa rentabilité lui permettent de survivre à la crise économique malgré des résultats irréguliers car « 60% des Montréalais sont francophones et s’identifient donc à l’équipe, ce qui pousse les gens aux guichets. »
Dans ce contexte favorable, ne manque plus que les succès sportifs. Arrivé en 1942, le joueur Maurice Richard fait franchir un cap à la franchise qui dispute dix finales dans les années 50 avec six titres à la clé dont cinq consécutifs. « C’est le début de ce qu’on appelle la dynastie du Canadien, souligne le professeur de l’Université du Québec à Montréal. L’apparition de la télévision en 1952 permet enfin de voir l’équipe et Maurice Richard qui font beaucoup parler d’eux, ce qui accroît davantage leur visibilité et popularité. »
Les trophées continuent de tomber jusqu’à la fin des années 70. Club phare de la LNH, le Canadien s’internationalise au détriment progressif de ses racines locales. « Le Canadien avait jusqu’à cette époque la priorité pour recruter des joueurs francophones au Québec mais la Ligue a changé le règlement, remarque l’historien du sport. De nombreux joueurs ont pu être ainsi sélectionnés ailleurs et les performances sportives de l’équipe ont décliné. » La dernière Coupe Stanley remonte aujourd’hui à 1993 mais la nostalgie de la dynastie est encore bien présente. « Montréal est devenue une ville de champions, c’est pourquoi les partisans et les médias sont si exigeants, complète Michel Vigneault. Le souvenir de la dynastie est encore très ancré mais peine à toucher les nouvelles générations qui n’ont pas connu de victoires. »
La franchise a alors axé sa communication et son marketing sur cette nostalgie pour attirer du nouveau public dans les années 2000. Mais aujourd’hui celui-ci abandonne les sièges du Centre Bell alors que se profile peut-être la pire saison de l’histoire des Canadiens de Montréal. « Pas un joueur francophone ne figurait sur la composition de l’équipe l’an dernier, une première pour le club », conclut Michel Vigneault. Les temps ont bien changé.