« Cela ressemble au supplice de la goutte d’eau », lance Catherine Soum pour définir le parcours du combattant qu’elle est en train de traverser aux côtés de sa conjointe. Leur épreuve ? Faire reconnaitre Catherine, mère non biologique, comme parent de leurs jumeaux en France. Question de principe et de symbole.
Originaires de France, elles sont venues s’installer au Canada en mai 2004 et y ont obtenu la double nationalité franco-canadienne. Leurs jumeaux, Mathis et Emilie, sont nés à Montréal en novembre 2004. À l’hôpital, le formulaire de déclaration de naissance leur a permis de se déclarer mutuellement comme parents légaux de leurs enfants. « Comme prévu, nos deux noms figurent bien sur leurs actes de naissance », raconte Catherine qui se souvient que tout s’est compliqué au Consulat de France à Montréal. « Lors de la déclaration, seule Myriam a été reconnue et les enfants ne pouvaient porter que son nom de famille, alors qu’au Canada, les enfants portent nos deux noms de famille sans que cela pose problème », confie Catherine qui se souvient qu’au Consulat personne n’avait vraiment l’air d’être au courant de la procédure à suivre. « Ils n’ont pas été en mesure de nous donner les documents relatifs à la requête et nous ont renvoyées au Tribunal de Grande Instance de Paris dont les Français de l’étranger relèvent », se souvient la Française qui a pris soin de noter chacune des démarches administratives et juridiques entreprises dans un journal de bord.
Depuis mai 2013, la loi française permet aux couples homosexuels de se marier et de faire ensuite adopter les enfants par le parent non biologique. C’est pour l’instant, la seule option possible mais encore faut-il que la demande soit acceptée. « Certains tribunaux, dont celui de Versailles, vont refuser l’adoption sous prétexte que les couples ont eu recours à l’insémination artificielle avec don de sperme (IAD) à l’étranger. Ces juges, minoritaires, vont même qualifier ces femmes de « fraudeuses » ! », raconte Catherine qui encaisse les coups depuis bientôt 4 ans.
C’est en octobre 2014 que le couple a décidé de demander l’adoption par Catherine de Mathis et Emilie en France. Pourquoi ? « Pour le symbole, pour que les enfants aient le même nom partout dans le monde, pour les aspects légaux et fiscaux », racontent simplement les deux mères de famille, bien décidées à mettre la justice française face à ses ratés et ses absurdités.
Pour tenter de parvenir à leurs fins et que justice soit faite, elles ont eu recours à une avocate trouvée via l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL). « Dans un premier temps, notre avocate nous a proposé de faire une demande de transcription de l’acte de naissance canadien des enfants au consulat de France. (…) On nous a retourné notre demande trois jours après avec en rouge la mention : seule la mère biologique est reconnue au niveau de l’état civil français. » Coup de théâtre. Le couple décide alors de déposer une requête aux fins d’adoption plénière. (NDLR : car les enfants ont moins de 15 ans, sinon seule une requête d’adoption simple est possible).
Une histoire sans fin
C’était sans compter la multitude de documents réclamés pour pouvoir déposer cette requête. « Notre avocate nous a ensuite demandé de remplir un formulaire de choix du nom de famille de l’enfant », expliquent Catherine et Myriam qui, 3 mois plus tard, ont dû faire signer à leurs enfants un formulaire « information du mineur ». « C’est une copie du livret de famille français, avec les pages vides pour démontrer que la mère biologique n’avait pas d’autres enfants ailleurs… ». Trois mois plus tard, le substitut du procureur leur a demandé un « certificat d’accouchement ».
Parmi les autres demandes de la cour du TGI : les attestations d’amis et de la famille qui indiquent que l’adoptante a des liens étroits avec les enfants, qu’elle s’en est toujours occupée. “Tout cela pour démontrer le lien entre l’adoptante et les adoptés. J’ai trouvé cela particulièrement humiliant”, confie Catherine qui espère que les choses changent.
7 décembre 2016, le jugement de la requête d’adoption plénière est rendu : rejeté. Le juge a classé la demande irrecevable car le lien de filiation entre Catherine et les enfants était déjà établi par l’acte de naissance québécois. « Donc une procédure de transcription de l’acte de naissance aurait dû être suffisante. Sauf que nous avions tenté cette procédure et elle avait été refusée par le consulat de France… », se souvient Catherine dont les sentiments oscillent de la frustration à la colère en passant par la déception. Mais le couple décide de ne pas en rester là.
Leur avocate dépose une demande au TGI de Nantes pour la transcription des actes de naissance et pour porter le jugement en appel. « Elle a alerté le défenseur des droits sur notre situation. Elle nous a assuré que la batterie des avocats et juristes de la commission juridique de l’APGL se penchaient sur notre situation inédite. »
17 octobre 2017, nouveau rebondissement : le tribunal de grande instance de Nantes, saisi d’une demande de transcription des actes de naissance de Mathis et Emilie, la rejette aux motifs que cette demande concerne « deux enfants qui ne sont pas français ». « Sauf que les enfants ont été déclarés au consulat de France à Montréal et sont français de par leur mère biologique », lance simplement Catherine, blasée.
19 mars 2018 : l’avocat général fait parvenir ses conclusions qui s’avèrent favorables au prononcé de l’adoption plénière. « Soi-disant qu’en première instance, il n’avait pas été possible de déterminer qui était la mère biologique sauf que nous avions fourni le certificat d’accouchement de l’hôpital qui identifiait, bien évidemment, la mère biologique », raconte le couple qui, le 22 mai 2018, a appris que la demande d’adoption plénière était recevable et la loi française applicable mais que la cour hésitait à statuer sur le prononcé de cette adoption. Raison invoquée : les enfants ayant maintenant plus de 13 ans, leur consentement est requis. « Le 19 juin 2018, notre avocate nous a représentées et a plaidé pour que les enfants n’aient pas à le faire (…) surtout qu’ils ont déjà écrits une lettre dans laquelle ils formulaient très clairement leur souhait de voir leur mère être leur mère en France comme au Canada. Mais rien n’y fait. »
Leurs jumeaux doivent maintenant aller chez le notaire pour signer un acte de consentement à leur adoption. « Les enfants n’en croient pas leurs oreilles quand on leur explique qu’ils doivent donner un tel accord… », confie le couple dont le prochain verdict tombera le 18 septembre 2018. Si elles ont prévu de rentrer un jour en France ? « On n’en a pas vraiment envie. Entre autres parce qu’ici, nous nous sentons pleinement citoyen·nes. »
« C’est un peu les boules de devoir adopter »
Axelle Martin, quant à elle, a eu de la “chance”. Avec sa conjointe, elles font partie des heureuses élues à être passées entre les mailles du filet de la justice française. « On a commencé nos démarches pour l’adoption fin 2016 et en février 2017, tout était réglé », raconte simplement Axelle, contactée par téléphone. « On a eu la chance de tomber sur un greffier très sympathique au TGI de Paris… En fait, ça dépend de la personne sur qui tu tombes, c’est au bon vouloir de la personne en charge du dossier. Pour nous, cela a été une formalité », se souvient la Française qui n’hésite pas à pointer du doigt l’absurdité et le ridicule des formulaires à compléter au Consulat de Montréal. « Pour le moment, ils sont adaptés aux couples hétéros, il serait temps que cela change ! La réalité est loin de celle des formulaires ».
Quant au concept même de l’adoption de son propre enfant en France, Axelle ne mâche pas ses mots : « C’est un peu les boules de devoir adopter. Je considère qu’à partir du moment où le mariage est accepté, la filiation devrait l’être aussi. Cela devrait être une simple formalité administrative et non un jugement ! », confie la Française qui comprend que certains de ses ami·es français·es refusent de faire la demande d’adoption par principe. « Mais c’est quand même bien pour nos enfants de leur donner l’opportunité d’avoir deux passeports », lance Axelle.
Frais liés aux démarches d’adoption en France
Frais d’avocat : 2440€ + 600€ TTC (3000$)
Demandes de copies auprès du Directeur de l’état civil du Québec : 70$ + 70$ + 40$
Frais du notaire québécois : 655$ + 450$
Frais d’envoi des documents via Purolator : 80$ par envoi
Total : 4600$