Jeudi 26 mai, six candidats à l’élection législative pour la circonscription Amérique du Nord étaient invités par French Morning et Maudits Français au théâtre Florence Gould du FIAF (French Institute Alliance Française) pour débattre ensemble des grands enjeux. Etaient présents par ordre d’apparition, de gauche à droite: Patrick Caraco (Droite, Centre et Indépendants), Emmanuel Itier (Résistons !), Florence Roger (NUPES), le député sortant Roland Lescure (Ensemble !), Franck Bondrille (indépendant) et Alain Ouelhadj (Reconquête !).
Appelés à se présenter en une minute au début du débat, les candidats ont tous commencé par une pensée pour les familles des victimes du terrible massacre d’Uvalde au Texas. Patrick Caraco a d’emblée promis d’oeuvrer « pour l’égalité des Français de l’étranger » avec leurs concitoyens, puis Emmanuel Itier s’est défini comme « humaniste engagé » qui représente une authenticité. Florence Roger a tout de suite alerté sur « l’urgence écologique” et promis des « propositions qui détonnent ». Le député sortant Roland Lescure s’est de son côté félicité du bilan du gouvernement sortant et a tiré la sonnette d’alarme sur les “théories fallacieuses” qui se développent, comme celle du grand remplacement. Franck Bondrille a fait valoir son expérience d’élu local comme conseiller consulaire de Miami, tandis qu’Alain Ouelhadj s’est présenté comme fils d’immigré de banlieue parisienne, qui veut être un député patriote et un homme de terrain.
Le débat a commencé par le conflit en Ukraine. Roland Lescure a exclu de forcer les entreprises à quitter la Russie, expliquant que « derrière les entreprises, il y a des salariés » . Chacune doit prendre sa décision en fonction de ses responsabilités, prenant en exemple Auchan qui a juge que cela mettrait l’entreprise en péril. Florence Roger a défendu la position de Jean-Luc Mélenchon face à la Russie: « Nous ne sommes pas Poutinophiles » et repris les mots de Nicolas Sarkozy pour indiquer qu’il existe soit la diplomatie, soit la guerre, dont on ne peut sortir par le haut. Franck Bondrille a jugé qu’Emmanuel Macron avait bien géré cette crise mais prône des sanctions à l’échelle européenne pour les entreprises présentes en Russie. Sur l’Otan, Alain Ouelhadj n’est pas favorable à un commandement militaire unifié : « les Allemands ont acheté 100 milliards d’euros d’armes, mais surtout aux Etats-Unis, je ne vois pas comment cela est possible », mais souligne que la question relève de l’exécutif. Emmanuel Itier regrette que la guerre ait lieu car chaque pays est focalisé sur sa souveraineté, du latin qui signifie “au-dessus des autres” et « un mot abject dans une démocratie”. Chacun fait les choses de son côté, plutôt que de tirer parti de cette belle institution qu’est l’ONU, regrette-t-il. Enfin, Patrick Caraco se réjouit que l’Otan se soit réveillé et est favorable à l’entrée de la Suède et la Finlande, mais s’inquiète de la course à l’armement. Une position que rejoint Roland Lescure, qui veut accueillir de nouveaux pays dans l’Otan, faire bloc et renforcer la défense Européenne, faisant valoir les fonds communs et la politique unifiée de sanctions de l’Europe à ce conflit.
Le député sortant juge que « le quinquennat s’est très bien passé pour l’Europe », avec une réaction commune des pays à la pandémie, des achats de vaccins, le vote d’un plan de relance et d’une directive sur la régulation du numérique. Florence Roger a quant à elle une position plus tranchée, tout en n’étant pas “pour le Frexit”. « Nous voulons désobéir ou obtenir une dérogation » sur le plafond de déficit public à 3 % du PIB, car elle juge que « la crise écologique est au moins aussi importante que la crise Covid » et nécessite d’importants moyens. Et précise que cette règle a déjà été violée plus de 200 fois en 20 ans. Elle plaide pour un grand pôle public de l’énergie, une politique agricole bio et locale et qui ne dépende plus de la PAC européenne et de renégocier la dette de la BCE auprès des banques. Alain Ouelhadj va plus loin: « L’Europe fédérale, personne n’en veut », jugeant qu’elle est bureaucratique et ne représente pas le peuple car pas élue par eux, et avance une « Europe des nations ». Patrick Caraco souhaite une supranationalité des députés européens, mais ne pas dépendre des “« technocrates de Bruxelles ».
Nous sommes ensuite passés aux questions intérieures. Franck Bondrille s’alarme de la hausse du prix de l’essence, qui va s’aggraver avec les conflits et prône une suppression de la CSG. Alain Ouelhadj déplore une « inflation galopante” et des comptes publics à la dérive, il propose « une gestion rigoureuse », une augmentation de la productivité des Français et un guichet unique pour les Français de l’étranger. Roland Lescure souligne que le gouvernement Macron avait été élu sur une promesse sur le pouvoir d’achat et indique que l’inflation française (4,8 %) est une des plus basses au monde, grâce à des mesures pour en limiter le choc pour les Français (contrôle public de l’énergie, hausse des points d’indice, primes etc). Il n’est pas favorable au gel des loyers pour encourager la construction de logements mais fait valoir la hausse du nombre d’apprentis. « Arrêtons le French bashing et soyons fiers de nos succès”. Emmanuel Itier veut que l’audience retienne un chiffre: « la hausse de 29 % de la pauvreté en France sur cinq ans, près de 1 Français sur cinq ». Florence Roger plaide pour un plan de relance ambitieux qui rapportera 1,18 euro par euro investi, et fait remarquer: « Si on n’indexe pas les salaires sur l’inflation, on court à la récession ». Patrick Caraco regrette que les entrepreneurs ne puissent pas venir aux Etats-Unis à cause du millefeuille administratif et des problèmes de visas. « Ces Français ne sont pas des exilés fiscaux”, déclare-t-il, et il se prononce pour un report de l’âge de départ à la retraite, avec une progressivité. Alain Ouelhadj et Roland Lescure critiquent le programme de Florence Roger, le premier disant « pour distribuer de la richesse, il fait en créer” et le deuxième plaidant pour le modèle social français mais sans « mentir aux Français ». « On ne va pas taxer plus les Français qui gagnent 4.000 euros ou moins », réplique Florence Roger, qui cite les 100 milliards d’euros d’exil fiscal par an, veut une “flat tax” pour taxer le capital et les dividendes et un impôt plus lourd sur les successions. Emmanuel Itier souligne que les revenus de l’Etat viennent à 51 % de la consommation en France et propose plutôt de libérer l’économie, plutôt que de « gouverner par la peur ».
La discussion a ensuite tourné vers les enjeux climatiques. Emmanuel Itier n’a pas de proposition mais précise qu’il est un électron libre du mouvement Résistons, votera les mesures qui ont du sens et propose de travailler ensemble comme « Nations unies du monde”» pour gérer nos ressources. Frank Bondrille propose des avantages sur les billets d’avion pour les Français résidents à l’étranger, Alain Ouelhadj souhaite le mix énergétique le plus efficace et critique l’éolien et le solaire, des énergies non continues et très coûteuses. Le nucléaire reste un atout majeur dans le contexte actuel, juge-t-il. Patrick Caraco juge que tous les lieux ne sont pas favorables aux énergies renouvelables et il ne croît pas aux voitures 100 % électriques car trop coûteuses aussi, et juge intéressante la piste de l’hydrogène. Florence Roger prône une « bifurcation écologique », car « la plus grande catastrophe est l’effondrement des écosystèmes », un effet papillon qui coûte 14.000 milliards d’euros par an. Pour cela, il faut développer les énergies renouvelables, aller vers l’indépendance mais aussi aller vers un modèle vertical d’auto-production, comme en Allemagne. Roland Lescure fait valoir que « la France émet trois fois moins de gaz à effet de serre que les US et deux fois moins que l’Allemagne », et que la moitié des ventes de voitures sont électriques. Il faut se projeter dans l’avenir pour gagner ce combat écologique, et redoubler encore les efforts sur ces émissions. Un bilan qui n’est pas que favorable puisque la France a été condamnée deux fois par l’UE pour son inaction climatique, lui répond Florence Roger.
Enfin, le débat s’est porté sur les sujets spécifiques aux Français de l’étranger. L’occasion pour tous les adversaires de Roland Lescure de le prendre pour cible en feu roulant, tous lui reprochant notamment de n’avoir pas passé assez de temps dans la circonscription pendant son mandat. « Je suis certes resté à Paris pour voter des lois pendant la pandémie, mais le reste du temps, j’ai passé une semaine sur quatre dans ma circonscription », se défend l’intéressé. Le député sortant en profite pour insister sur l’intérêt d’un député “proche du pouvoir” à Paris, en prenant pour exemple un récent sujet soulevé par de nombreux lecteurs de French Morning dans leurs questions avant le débat: un décret publié en mai a subitement augmenté de 16 points les cotisations de retraite des fonctionnaires détachés, notamment enseignants des lycées français. Pointé du doigt, Roland Lescure a au contraire expliqué qu’il avait « immédiatement réagi » et obtenu un gel et une “clause grand-père“ qui exclut les citoyens déjà sur place. Mais ce système de retraite très avantageux devra être réformé à l’automne.
Sur l’éducation, Florence Roger explique que l’éducation gratuite universelle pour les Français de l’étranger, qui figure dans la programme de la France insoumise, n’est pas envisageable en Amérique du Nord compte-tenu de la spécificité du système, constitué d’établissements privés indépendants, mais veut revoir les systèmes de bourses très stricts et peu pérennes, et vise la gratuité du CNED et le développement des programmes FLAM (Français Langue Maternelle). « On peut avoir accès aux lycées français si on est riches ou pauvres, mais on perd la classe moyenne », regrette Franck Bondrille, rejoint par ses confrères, qui souhaitent réformer l’AEFE. Emmanuel Itier propose d’aller démarcher des entrepreneurs Français à succès pour qu’ils soient mécènes de ces programmes, et Roland Lescure souhaite encourager les programmes publics bilingues, qui sont le fruit de la volonté des locaux et sont une alternative aux coûteux programmes privés.
Sur l’immigration, interrogé sur la question de savoir comment un candidat s’adressant à des électeurs par nature émigré (les Français d’Amérique du Nord) pouvait soutenir un parti très anti-immigration, Alain Ouelhadj a assuré qu’Eric Zemmour n’était « pas anti-immigration », provoquant les murmure de la salle. Prônant une “immigration choisie” comme le font à leur échelle les Etats-Unis et le Canada, il déplore qu’un million d’immigrés illégaux restent en France et profitent des systèmes temporaires ou d’asile. Florence Roger réagit et juge qu’une telle politique est « anti-humaniste, il est fallacieux de lier insécurité et immigration”. En tant que médecin, elle souhaite abroger les trois mois de carence de la Sécurité Social lors d’un retour en France, au moins pour des soins d’urgence. Sur les visas E2 désormais valables pour 2 ans, Franck Bondrille et Patrick Caraco jugent qu’il faut instaurer une réciprocité pour inciter à plus de souplesse, un travail qui relève du Quai d’Orsay et de Washington.
Conclusions des candidats
En conclusion, Alain Ouelhadj promet d’être un « député de la nation », Franck Bondrille est « un entrepreneur qui sera sur le terrain et travaillera pour les Français de l’étranger », Roland Lescure a un seul message : « allez convaincre 5 à 10 personnes d’aller voter, plus il y aura de votes, plus la personne élue sera entendue », Florence Roger porte une voix de « femme écologiste de gauche, qui défend la justice sociale et environnementale », Emmanuel Itier appelle à voter pour la personne “en qui vous croyez, c’est une question d’énergie” et Patrick Caraco promet d’être un « élu de terrain » qui se battra pour les causes chères aux Français de l’étranger.