Désopilant dans “Catherine et Liliane“, Alex Lutz est venu présenter à Montréal son film “Guy” en clôture du Festival du Nouveau Cinéma. À la fois réalisateur et acteur principal de ce long métrage, il y incarne Guy Jamet, un chanteur de variété has been approché de manière anonyme par son fils illégitime. Rencontre avec un acteur surdoué qui nous offre un film très réussi, délicat, drôle et touchant, à découvrir au cinéma le 19 octobre.
Pour son deuxième film en tant que réalisateur, Alex Lutz a choisi la forme du faux documentaire de cinéma. “J’y ai pensé tout de suite, raconte-t-il. La vraie genèse du projet, c’était l’envie d’avoir un objet de cinéma me permettant une grande liberté d’action et de casser le jouet, le recommencer, comme une boîte de lego sans modèles (…). Même si tout est très cadré et écrit, j’aime pouvoir essayer plein de choses dans la mise en scène. J’avais envie d’une forme où le souffle de création puisse être à la fois cadré et chaotique“.
Vedette de variétés aux succès passés qui essaye de faire son retour, Guy Jamet est approché par Gauthier, son fils illégitime. Le jeune homme fait mine de tourner un documentaire sur le chanteur pour faire connaissance avec son père. Maquillé pendant plus de 4 heures chaque jour pour incarner son personnage, Alex Lutz traverse les années entre les flash-back des années 60 à 90 et la vie du septuagénaire, adaptant sa gestuelle, son regard et son élocution. Mais le portrait intime de Guy Jamet est fin, sans jamais paraître caricatural ou forcé ni tomber dans le cliché.
“Paradoxalement, il fallait être très sincère, commente l’acteur. Peut-être encore mille fois plus qu’avec un rôle démasqué, parce qu’un rôle masqué vous demande d’exploser le latex, sinon on vous dit “oui c’est bien fait, elles sont chouettes ces rides” (…). Il ne fallait pas faire montre, il fallait être. Les colères, elles explosent, elles s’annulent, elles s’étouffent… comme dans la vie.”
C’est Alex Lutz lui-même qui interprète les chansons dans le film, travaillant sa voix pour l’adapter au chanteur jeune, puis vieillissant. “C’était important pour l’histoire qu’il soit chanteur, explique le réalisateur, car l’industrie du disque ce n’est pas anodin dans nos coeurs à tous (…). Une chanson, c’est incroyable comme ça nous marque au fer, même des chansons populaires qu’on ne va pas aimer. Par exemple, Céline Dion au Québec : on aime ou on n’aime pas, mais à partir du moment où on n’a pas pu passer à côté de ces harmonies là, cela nous accompagne. Une même chanson, ça peut être un baiser, un concert, un divorce, les trois à la fois…“.
Au cours du film, Guy Jamet interprète diverses chansons de son répertoire, composées spécialement pour le rôle. Mais le réalisateur a également choisi de faire interpréter une seule chanson réelle par son chanteur de variétés : “Je reviendrai à Montréal”, de Robert Charlebois.
“J’aime beaucoup Robert Charlebois, confie l’acteur qui a justement dîné avec le chanteur la veille de notre entrevue. Ce film me l’a fait rencontrer donc je suis très ému, on s’entend bien. C’était la chanson que nous avait apprise mon institutrice en CM2, que je vénère (…). Elle est invraisemblable cette chanson, dans sa symbolique : l’histoire du départ, du retour, d’aller loin et de revenir au même point”. Des thématiques qui ne manquent pas d’avoir une résonance dans le film.
Ce portrait tendre d’un chanteur lucide qui regarde avec une sorte de fatalité amusée ce qu’il a été et qu’il n’est plus, son rapport au temps et à la filiation, pourraient toucher le public québécois habitué à un cinéma axé sur des personnages et situations complexes.
Alex Lutz, qui est ami avec l’acteur Yves Jacques, se dit très impressionné par le réalisateur Xavier Dolan. “C’est heureux qu’il existe, ce garçon. Je trouve ça incroyable. Il est un espoir pour les artistes. Il a une telle rage de faire, coûte que coûte (…). J’aime bien cette intransigeance. Il y a tout dedans : le talent, la jeunesse, l’intelligence. Dans “J’ai tué ma mère”, je me souviens de l’intelligence de points de vue. Ah oui, c’est un garçon sidérant !“.