La nouvelle est arrivée, de celles qu’on redoute plus que tout au monde. L’annonce d’une perte imminente ou pire encore, l’annonce du décès d’un proche.
C’est le choc. On y avait songé, cela nous avait effleuré ou des échos lointains étaient arrivés jusqu’à nous, mais jusque-là c’était de l’ordre de l’abstrait. Les années passant, on avait relégué la grande faucheuse dans un recoin, très loin, de notre cerveau. La réalité nous a rattrapés et on ne sait pas trop comment réagir. On se sent démunis, le décalage horaire en plus et les milliers de kilomètres en prime. Toutes les questions connexes surgissent, atrocement amplifiées par l’éloignement.
Que ce soit lors d’une maladie annoncée ou un départ soudain, l’annonce de la perte d’un proche nous ébranle profondément que l’on vive dans le même village ou à l’autre bout du monde. L’irrémédiable de la situation, la fatalité irrévocable remettent en perspective nos vies. Alors commence le long processus de deuil dont personne ne peut s’affranchir : le choc, le déni, la colère et la dépression, parfois. Enfin, avec le temps vient l’acceptation.
Le dilemme de l’urgence
Quand la famille nous tient au courant à sa manière, avec des informations minimisées ou exagérées, lors de l’annonce d’une mort imminente, il est toujours difficile de prendre LA bonne décision. Y aller toutes affaires cessantes ? Ou est-ce une fausse alerte ? L’issue peut être incertaine et lourde de conséquences… Partir pour ne pas risquer de manquer les derniers instants ? Celui qui vit loin peut être confronté à un sentiment de culpabilité de ne pas être présent, ou parfois aussi, d’inadéquation avec le temps et l’espace.
La culpabilité, la nôtre, la leur…
Dans ces moments d’intensité émotionnelle, les regrets, les rancunes, le jugement, tout comme l’amour d’ailleurs, sont prompts à ressortir souvent mal à propos et pas toujours de manière recevable. Ce qui n’a pas été accepté, ce qui est difficile à assumer, les vérités qu’on ne s’était pas avouées… Bref, notre équilibre, tant relationnel qu’émotionnel, est bousculé. Et ceci s’applique puissance mille pour ceux qui vivent loin !
Et puis il y a les décisions qu’on regrette après coup. Ma grand-mère adorée avait été hospitalisée pour une opération bénine, mais tout a dégénéré. Après avoir échangé tout notre amour et les derniers mots doux, elle m’a demandé de ne pas venir. Et je ne suis pas non plus allée à l’enterrement, ce qui à l’époque me paraissait logique. Mais j’ai toujours regretté. De ne pas être allée la voir et de ne pas avoir été présente à son enterrement. Depuis, parce que les symboles sont puissants, un rite ou un partage symbolique, me sont apparus comme nécessaires. Plus de deux ans après la mort de ma grand-mère, il me fallait toujours quelques instants pour réaliser qu’elle n’était plus là, ni ici ni ailleurs.
Parfois, le sentiment de ne pas avoir fait de notre mieux
Remonte alors souvent à la surface, notre surface qui est loin d’être un lac tranquille du Québec, un sentiment d’avoir manqué, de par notre décision de vivre ailleurs, certains événements, une partie de la vie du défunt, manqué un vécu qui aurait pu être ! Parfois on évoque les fameux “et si”. Si je n’étais pas parti·e, et si j’étais rentré·e plus souvent, etc.
L’acceptation exige qu’on revienne à l’essentiel. L’essentiel dans nos valeurs, l’essentiel de nos choix et le fait que nous avons fait au mieux avec ce que nous avions à ce moment-là. C’est le début de l’acceptation.
De l’importance de notre réseau
Pour celui qui vit à l’étranger, qui a choisi cet éloignement, il est important de pouvoir compter sur un réseau qui lui permet d’être soutenu, entendu dans son deuil et entouré. Qu’il s’agisse du conjoint, des amis proches ou du support social quel qu’il soit, le réseau au sens large est primordial pour traverser cette épreuve. C’est le filet de sécurité qui permet de se remettre d’un deuil.
Le point de bascule
Il arrive aussi que lors de la perte d’un proche, le fondement même de notre décision de vivre à l’étranger soit remis en cause. Au-delà du choc émotionnel et du chagrin, nos ambitions professionnelles ou l’attrait de l’aventure internationale sont scrutés d’une manière différente. On questionne alors les priorités, on remet de l’ordre. Comment vit-on le lien avec nos racines profondes au regard de cette perte ? Ressent-on le besoin de nous ressourcer et retrouver le lien de proximité avec la famille ? Certains décideront, après cet événement marquant de “rentrer” par besoin de se relier au clan et au pays d’origine. D’autres, au contraire, verront clairement une fois le choc passé, que s’ils sont liés au plus tendre avec leurs proches, leur vie est bien ailleurs.
Dans ce cas, ce sera une confirmation intime de leur choix et la base de la prochaine étape de leur vie. Un deuil à vivre, loin parce que leur vie est ailleurs.
Reste que la mort fait partie de la vie et que cette étape permet de grandir avec la présence paradoxale de l’absence. Même ailleurs, la force de la vie est plus forte que tout. Il nous faut du temps aussi.