Alors que son dernier spectacle, “Réversible“, continue à être applaudi en France, la compagnie québécoise de cirque Les 7 Doigts de la main revient début juillet sur les planches de Montréal avec un nouveau spectacle hommage à la chanteuse Lhasa de Sela. Rencontre avec son cofondateur, codirecteur artistique et metteur en scène Sébastien Soldevila, 5 fois champion de France de gymnastique acrobatique dans son autre vie.
Le gymnaste nous reçoit dans les superbes nouveaux locaux des 7 Doigts en cours de réaménagement, situés dans l’ancien musée Juste pour rire à Montréal. “On ne voulait pas un hommage gnangnan“, nous confie-t-il à propos de “Sisters“, la nouvelle production du collectif en hommage à Lhasa de Sela, qui sera présentée au Théâtre Outremont en juillet. La regrettée Montréalaise, d’origine americano-mexicaine à la voix magnifique et aux chansons envoûtantes, était l’amie d’enfance de la co-fondatrice des 7 Doigts, Gypsy Snider, et était également très liée avec Sébastien Soldevila et sa femme.
Ce sont les deux soeurs de la chanteuse, artistes de cirque, qui se produiront sur scène à l’occasion du festival Complètement Cirque, sur une musique de Lhasa et d’autres musiques inspirées de son travail. “On voulait faire une célébration à travers sa musique, sur le thème des relations entre soeurs“, commente Sébastien Soldevila. La compagnie annonce “un conte à l’humour subtilement absurde“. La direction musicale et la harpe notamment, seront assurées par Sarah Pagé, qui travaillait avec Lhasa. Un spectacle “pour les amoureux de musique et de cirque” commente le directeur artistique.
Né en France d’une mère française et d’un père espagnol, ce Parisien se destinait plutôt à une carrière scientifique en s’engageant dans des études de biochimie. Mais sa passion des acrobaties s’est avérée plus forte que son goût pour les éprouvettes. Cinq fois champion de France de gymnastique acrobatique (ou acrosport), il décide finalement de tenter l’aventure du cirque au Québec avec sa partenaire de gymnastique, Emilie Bonnavaud.
“Il y avait des auditions en France pour le Cirque du soleil. On est partis sur un coup de tête l’été 1998″, se souvient le Franco-Espagnol. S’en suivent trois ans de tournée avec le spectacle “Saltimbanco” où il rencontre Shana Carroll, qui va devenir sa femme et associée. Il y rencontre également Gypsy Snider, Isabelle Chassé, Patrick Léonard et Samuel Tétreault. Les six artistes décident bientôt de voler de leurs propres ailes.
“Au Cirque du soleil, nous n’avions pas vraiment notre mot à dire sur la création. Au bout d’un moment, je me suis dit qu’il fallait faire autre chose (…). On voulait faire des créations, pas seulement être sur la scène“, explique le gymnaste. Avec l’artiste Faon Shane (qui a depuis quitté la compagnie créée en 2002), les sept artistes ont choisi d’appeler leur collectif “Les 7 Doigts de la main”.
Ils amènent au Québec un cirque différent, inspiré d’Europe. “Le mouvement du cirque contemporain a commencé en Europe et en France dans les années 70. Il n’y avait pas vraiment ça ici“, explique Sébastien Soldevila. De quoi s’agit-il exactement ? “Comme en danse contemporaine, qui a abattu les clichés par rapport à la danse classique, il s’agit de sortir des sentiers battus et d’offrir un spectacle en alliant différentes formes d’art : peinture, jeu, musique, vidéo… Le cirque arrive à s’accaparer les autres formes d’art. C’est un point central sur lequel pas mal d’autres choses peuvent se rallier, ce qui est très intéressant”, précise le directeur artistique.
Aujourd’hui, les 7 Doigts ont à leur actif une vingtaine de créations dans des domaines variés, incluant notamment la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Sotchi, en développant leur conception artistique et humaine du cirque. “On a essayé de dédramatiser le cirque, explique le Franco-Espagnol. Pour le commun des mortels, les gens qui font des acrobaties de ce niveau-là sont des super-héros, on n’arrive pas à connecter avec eux. Pour nous, le but du jeu c’est de créer une connexion et nous avons une vraie envie d’écriture en utilisant le cirque et le mouvement pour exprimer des choses et raconter une histoire“. Les associés signent toutes les mises en scène de leurs spectacles et collaborent également avec des partenaires artistiques sur certains projets, notamment à Broadway.
Leur dernière production, “Réversible”, est en tournée dans le monde et notamment en France, où Le Monde la décrivait comme libérant “un sentiment d’authenticité humaine intense alors qu’elle atteint des sommets d’artifices techniques“. Au Canada, elle a fêté sa 200e représentation à Québec en mai 2018 et reviendra à Toronto en décembre 2018.
Pour réussir au Québec, le Franco- espagnol et ses associés ont dû allier la création artistique à un succès commercial pour survivre. “Il y a beaucoup moins d’aide à la culture qu’en France (…). Si nos spectacles ne sont pas bons et qu’ils ne tournent pas, on met la clé sous la porte”, commente le directeur artistique qui apprécie le vivier créatif qu’offre Montréal. “Au Québec, le côté bipolaire entre l’hiver et l’été crée un engouement pour la création, une force créative. Quand le printemps arrive, les gens ont envie de s’exprimer. Si c’était l’été toute l’année, je pense qu’on serait moins créatifs ! On ne se rend pas compte à quel point le climat influence les gens”. Un Franco-Espagnol qui fait l’apologie du climat québécois, avouons que c’est plutôt rare !
La prochaine création de l’équipe des 7 Doigts après “Sisters” ? Elle sera sur le thème des rencontres à travers le voyage. C’est pour très bientôt au Québec, mais on n’en saura pas plus…