Avec “Ouvrir la voix“, Amandine Gay donne la parole à 24 femmes noires de 22 à 47 ans qui vivent en France et en Belgique. Un documentaire réussi, primé aux Out d’or français et aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM). Sorti à Québec le 2 février, il sera projeté sur les écrans de Montréal à partir du 9 février.
Elles sont filmées en gros plan et s’expriment, tour à tour, avec lucidité et sensibilité. Entre des hommes blancs qui fantasment sur leurs supposées prouesses de “tigresse” au lit, des féministes blanches qui les attaquent sur leur rapport au corps ou des hommes noirs qui leur préfèrent les femmes blanches ou métisses, leur vie n’est pas simple.
Elles évoquent, bien sûr, la question posée tellement souvent dans un milieu blanc : “Tu viens d’où ? – Limoges. – Non mais en vrai tu viens d’où ?“. Elles racontent une éducation où on leur ressasse qu’il faut faire deux fois mieux que les autres, ne pas faire de vagues pour ne pas être projetées dans les clichés. Il y a aussi ces femmes noires homosexuelles qui se sentent totalement rejetées par leur milieu. Pour l’une d’elles, gérer à l’adolescence des préjugés raciaux et la découverte d’une identité sexuelle qu’elle ne peut assumer sont vite devenus invivables.
Navigant entre les difficultés d’être une femme noire dans un environnement blanc et dans une communauté noire, Amandine Gay traite une douzaine de thèmes, en abordant notamment la religion, les discriminations scolaires ou professionnelles, l’orientation sexuelle et la dépression. Ces femmes, qui évoluent dans des milieux divers, ont en commun leur expérience minoritaire et leur volonté de l’exprimer à travers ces thématiques. “L’enjeu, c’était de trouver des personnes qui acceptent de parler de ces questions-là à visage découvert”, confie Amandine Gay.
La trajectoire personnelle de la réalisatrice est enracinée dans ces problématiques. À commencer par ses études à Sciences-Po Lyon, fraîchement débarquée de son milieu populaire dans une petite ville de la région lyonnaise : “j’étais la seule noire de ma promo (…). Une très grande solitude“, précise-t-elle. Puis Amandine Gay galère professionnellement à Paris pendant 10 ans. Actrice, on lui propose des rôles stéréotypés. Elle décide de passer à la réalisation et gagne la reconnaissance de ses pairs avec ce documentaire autofinancé.
Elle a choisi il y a deux ans et demi de s’installer à Montréal avec son conjoint, où elle se réjouit d’avoir retrouvé une meilleure valorisation professionnelle et une vie plus simple. “Je suis partie à 21 ans pour mes études à Melbourne, en Australie et on m’a toujours dit : “Montréal c’est comme Melbourne en plus froid””, se rappelle la réalisatrice. J’avais un a priori positif !“.
Elle évoque un aspect révélateur d’un quotidien allégé. “Dès que j’arrive en France, je dois montrer mon sac dans les magasins. J’ai un conjoint blanc qui passe, lui, avec un sac rempli sans problème. (…) La première fois que j’ai montré mon sac à une caissière ici, elle n’a pas compris ce qui se passait !“.
Plusieurs femmes expriment dans le documentaire leur choix de rester en France ou en Belgique, leur pays. Elles sont toutes fortes, résilientes. On ressort de la projection avec une autre vision de nos sociétés outre-Atlantique, un espoir de changement aussi. Un documentaire à montrer aux adolescents et à voir en tant qu’adulte également pour ouvrir le regard, changer les perceptions, les comportements, et pour que cet espoir devienne réalité.