En se promenant à Montréal, été comme hiver, on ne peut pas les rater ni s’empêcher de les prendre en photos : les fameuses maisons colorées du Plateau. Mais que savons-nous réellement d’elles et de leurs couleurs éclatantes (ou de leurs briques éclatées) ? Pas grand chose. On a donc fait appel à Bernard Vallée, co-auteur du Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal et membre de Montréal Explorations pour y voir plus clair.
“On fait ordinairement remonter la coloration des maisons de certaines rues du Plateau à leur achat et rénovation par les immigrants portugais. Ceux-ci provenant en grand nombre des îles des Açores, on suppose qu’ils ont transféré une tradition locale à leur quartier montréalais d’adoption”, raconte Bernard Vallée qui précise qu’on retrouve aussi ces maisons colorées au Portugal continental.
D’après le spécialiste, une légende urbaine rapportée par des guides touristiques — mais dont on ne peut confirmer la véracité — prétend aussi que cette coutume de couleurs a été apportée à Montréal par les pêcheurs portugais en particulier. “C’est d’abord leur barque qu’ils peignaient de couleurs vives. Et ils utilisaient ce qui restait de peinture pour peindre leur maison – ou tout au moins la façade de leur maison. La barque du pêcheur et sa maison étaient de la même couleur. De cette façon, lorsqu’ils étaient en mer, leur barque restait bien visible pour les gens qui restaient à terre. Et les éventuels acheteurs de poissons savaient, par la couleur de la maison, à quel endroit, chaque jour, ils allaient trouver du poisson frais… C’était une forme de publicité !”
On pourrait également accorder une certaine paternité de la coloration des façades à d’autres Européens qui, eux aussi, avaient des traditions en ce sens comme les Italiens, entre autres. “En 1974, quand je me suis installé rue Drolet dans une maison de 1873 de la ferme Comte, celle-ci appartenait à un Italien qui l’avait peint en rouge vif quand il l’habitait. Quand elle a été rachetée plus tard par un prof de l’UQAM, il l’a fait repeindre en ocre-jaune”, explique l’auteur avant d’ajouter que, dans les années 1960-1970, certains Montréalais “de souche” ont voulu relooker leur façade en utilisant des couleurs “brique”.
“Malheureusement, ce sont des peintures qui bloquaient la perméabilité des briques qui ont souvent été utilisées, entraînant fréquemment leur éclatement sous l’effet du gel l’hiver…”, explique Bernard Vallée. Cette pratique, pourtant joyeuse de peindre la brique, reprise par d’autres propriétaires de toutes nationalités, est à l’origine d’une véritable “catastrophe” selon l’auteur. “Cela a généré des façades lépreuses et un remplacement par des briques industrielles ou en ciment qui ont défiguré nos rues.”
N’ayant pas les moyens d’ôter “l’horrible peinture brun-caca” de la façade de la maison qu’il a achetée en 1984 ni de remonter la façade avec des briques de même facture, Bernard Vallée a, quant à lui, choisi de repeindre sa maison sans chercher à imiter la couleur brique. “Mais j’ai quand même veillé à ne pas trop jurer avec les façades de pierres voisines. Et puis j’ai dû remplacer régulièrement les briques qui éclataient”, lance le Montréalais.