Dans un contexte nord-américain où prédomine l’anglais, le français souffre d’un statut minoritaire. C’est ce qui explique que le Québec s’est doté de lois linguistiques pour protéger le français. On répond à la question bête de la semaine.
Si vous êtes déjà venu au Québec, vous n’êtes sûrement pas passé à côté des panneaux signalant l’obligation d’effectuer un Arrêt. Sans doute avez-vous également déjà pris le temps de savourer un PFK (qui n’est nul autre que le Poulet frit Kentucky, ou Kentucky Fried Chicken). Et pour cause, le Québec possède des lois destinées à protéger la langue française.
Penser que la langue est menacée « n’est pas une question que les anglophones se posent », estime l’historien Serge Dupuis, membre associé de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord de l’Université Laval. De même que la France, en tant qu’État-nation, se situe dans une Europe où le français bénéficie d’un « certain statut et prestige », bien qu’il ne soit pas la langue dominante, rappelle-t-il.
Or, en contexte nord-américain, le français est marginal. C’est pourquoi certains ont décidé de le protéger. « Pour éviter une assimilation massive vers l’anglais, ce qui est le cas de la majorité des communautés francophones au Canada, il faut des lois », avance Serge Dupuis.
Contrairement à la Suisse ou la Belgique, la langue maternelle d’une majorité de Canadiens est celle de « l’ordre mondial », affirme l’historien, une « langue véhiculaire importante », renchérit Wim Remysen, professeur en sociolinguistique et histoire du français à l’Université de Sherbrooke. L’anglais bénéficie également d’un certain prestige et d’un pouvoir d’attraction en Amérique du Nord, car il a une emprise sur la vie politique, sociale et économique, explique M. Remysen, qui pointe du doigt une forme d’anglonormativité.
Au milieu du XXe siècle, explique M. Remysen, les Commissions d’enquête Laurendeau-Dunton et Gendron ont montré que le français jouissait d’un faible prestige au Canada. Les Commissions d’enquête ont également révélé que la « situation économique inférieure des Canadiens français nécessitait une intervention de l’État ». Le professeur estime que les lois linguistiques ont « permis aux francophones de mettre leur langue au cœur de leur société ».
Une série de mesures, regroupées sous la Loi 101 ou Charte de la langue française, a été promulguée en 1977, sous le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque. Elle entérine l’usage du français comme langue officielle du gouvernement du Québec et de la société québécoise, rendant par la même occasion l’enseignement en français obligatoire pour les nouveaux arrivants au Québec, y compris ceux d’autres provinces canadiennes.
Le Québec n’aurait pas été le même sans la Loi 101 affirmant qu’on a « des droits linguistiques » et que le français est la langue commune, affirme Wim Remysen.
Depuis la création du Parlement québécois, la langue qui y serait parlée a été l’une des premières questions abordées, rappelle Joseph Yvon Thériault, professeur au département de sociologie de l’UQAM. Il estime ainsi que le français est « au fondement de l’identité québécoise depuis le début ». En 2021, selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), 93,7% des Québécois ont déclaré connaître le français, ce qui démontre à ses yeux le succès de la Loi 101.
Afin que ces lois restent pertinentes au regard des changements sociétaux, une mise à jour des « mécanismes de protection de la langue » s’est avérée nécessaire au fil des années, explique Serge Dupuis. La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français – aussi connue sous le nom de Loi 96 – est donc une réforme de la Loi 101.
Celle-ci a été adoptée le 1er juin 2022 et apporte son lot de mesures, dont la dernière partie entrera en vigueur le 1er juin 2025. Elle prévoit, entre autres, une « nette prédominance » du français en ce qui concerne l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local. Autrement dit, tout message affiché dans un lieu accessible au public, tels qu’une enseigne ornant la façade extérieure d’un commerce, sa vitrine, ainsi que les affiches se trouvant à l’intérieur (pour autant qu’elles soient visibles de l’extérieur) doivent intégrer des messages où le français est prédominant. La mesure vise également les présentoirs et les véhicules.
Pour ce qui est des inscriptions sur les produits commerciaux, la Loi 96 stipule que les éléments génériques ou descriptifs, tels que les ingrédients, la couleur ou le parfum doivent eux aussi figurer en français. Le nom sous lequel le produit est commercialisé et le nom d’entreprise pourront quant à eux être dans une autre langue que le français.
D’autres mesures telles que l’inscription à l’OQLF et une démarche de francisation pour les entreprises comportant entre 25 et 45 employés entreront également en vigueur en juin.